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tournent vers la reine. C’est en elle qu’ils mettent leur espoir pour sauver ce qui peut être sauvé. Ils la stimulent, l’alarment quelquefois pour la mieux exciter à prendre sérieusement son rôle et s’efforcent de l’enhardir au gouvernement. Il ne faut plus qu’elle se contente de dire : « Je ne me mêle ; » il faut qu’elle donne l’impulsion. « Le roi n’a qu’un homme dans son conseil, c’est sa femme, s’écrie Mirabeau ; le moment viendra et bientôt où il lui faudra essayer ce que peuvent une femme et un enfant à cheval : c’est pour elle une méthode de famille ; mais en attendant il faut se mettre en mesure et ne pas croire pouvoir, soit à l’aide du hasard, soit à l’aide des combinaisons, sortir d’une crise extraordinaire par des hommes et des moyens ordinaires. » Et M. de La Marck, le négociateur du rapprochement de Mirabeau, qui est peut-être l’ami de Marie-Antoinette encore plus que du roi, mais qui n’est point assurément un révolutionnaire, M. de La Marck le dit à son tour : « Aussi longtemps que la reine ne sera pas le point central des affaires, qu’elle ne sera point secondée par un ministre habile et servie près du roi par un homme fidèle avec lequel il se trouve à son aise, il faudra s’attendre à de grandes fautes et à mille dangers, car enfin, il faut trancher le mot, le roi est incapable de régner, et la reine, bien secondée, peut seule suppléer à cette incapacité. » La reine elle-même sent bien les nécessités inexorables et les impossibilités de la situation. « Vous connaissez la personne à laquelle j’ai affaire, écrit-elle en parlant du roi ; au moment où on la croit persuadée, un mot, un raisonnement la fait changer sans qu’elle s’en doute ; c’est aussi pour cela que mille choses ne sont point à entreprendre. » De sorte qu’en étant provoquée à l’action par l’invincible force des choses, Marie-Antoinette trouve en même temps partout autour d’elle les difficultés, les impossibilités, sans parler de celles qu’elle peut bien rencontrer en elle-même, dans ses idées et dans son éducation morale.

C’est ce qui explique en grande partie les fluctuations de sa volonté, les contradictions apparentes de son rôle, contradictions qui suivent la marche des choses, et qui deviennent plus périlleuses à mesure que tout s’aggrave. La vie de Marie-Antoinette se passe dans une suite d’efforts comprimés, de luttes invisibles entre le nécessaire et l’impossible, entre l’évidence qui crie, qui pousse en avant, et une fatalité qui paralyse tout, qui enchaîne tout, pour laisser la place libre à la révolution. Elle veut bien agir, cette reine qui voit chaque jour s’assombrir son destin ; elle sait bien que sa couronne et sa vie sont à ce prix. Il y a des momens où elle est tout feu, où elle espère presque avec sa bonne grâce énergique ; puis, qu’une déception arrive, que la révolution fasse un nouveau