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qui était la plus honorable ; il est arrivé au consulat la première fois qu’il l’a demandé, aussitôt que les lois lui permettaient d’y prétendre, sans qu’aucune de ces dignités ait rien coûté à son honneur ou à sa fortune.

Il importe de remarquer qu’au moment où il fut nommé préteur, il n’avait encore prononcé aucun discours politique. Jusqu’à l’âge de quarante ans, il ne fut qu’un avocat, et il n’éprouva pas le besoin d’être autre chose. L’éloquence judiciaire menait donc à tout ; quelques succès brillans devant les tribunaux suffisaient pour pousser un homme dans les dignités publiques, et personne ne s’avisa de demander à Cicéron d’autre preuve de sa capacité pour les affaires au moment où on allait lui confier les premiers intérêts de son pays et l’investir du pouvoir souverain. Toutefois, si ce long séjour dans le barreau fut sans danger pour sa carrière politique, je ne crois pas qu’il ait été sans dommage pour son talent. Tous les reproches qu’on adresse, à tort sans doute, à l’avocat d’aujourd’hui étaient parfaitement mérités par l’avocat d’autrefois. C’est de lui qu’on peut vraiment dire qu’il se chargeait indifféremment de toutes les causes, qu’il changeait d’opinion avec chaque procès, qu’il mettait son art et sa gloire à trouver d’excellentes raisons pour appuyer tous les sophismes. Jamais, dans les écoles antiques, le jeune homme qui s’exerçait à la parole n’entendait dire qu’il est nécessaire d’être convaincu et convenable de parler selon sa conscience. On lui apprenait qu’il y a différentes espèces de causes, celles qui sont honnêtes et celles qui ne le sont pas (genera causarum sunt honestum, turpe, etc.), sans avoir soin d’ajouter qu’il fallait éviter ces dernières. Au contraire, on lui donnait le goût de s’en charger de préférence, en exagérant le mérite qu’il y avait à y réussir. Après lui avoir appris comment on défend et on sauve un coupable, on n’hésitait pas à lui enseigner les moyens de déconsidérer un honnête homme. Telle était l’éducation que recevait l’élève des rhéteurs, et, une fois qu’il était sorti de leurs mains, il ne manquait pas une occasion d’appliquer leurs préceptes. Par exemple, il ne commettait pas la faute de garder quelque modération et quelque retenue dans ses attaques. En se condamnant à être juste, il se serait privé d’un élément de succès auprès de cette foule mobile et passionnée qui applaudissait aux portraits satiriques et aux invectives violentes. La vérité ne le préoccupait pas plus que la justice. C’était un précepte des écoles d’inventer, même dans les causes criminelles, des détails piquans et imaginaires qui réjouissaient l’auditoire (causam mendaciunculis adspergere). Cicéron cite avec de grands éloges quelques-uns de ces mensonges agréables qui ont peut-être coûté l’honneur ou la vie à de pauvres gens qui avaient le malheur d’avoir des adversaires trop spirituels, et, comme il avait