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et sa pompe, par son éclat et son pathétique, était faite pour l’atteindre.

Il avait d’abord mis sa parole au service du parti populaire : on a vu que c’est dans les rangs de ce parti qu’il fit ses débuts politiques ; mais, quoiqu’il l’ait fidèlement servi pendant dix-sept ans, je suis porté à croire qu’il ne le servait pas toujours de bon cœur. C’étaient les excès du régime aristocratique qui l’avaient rejeté vers la démocratie ; il dut trouver que la démocratie, surtout quand elle fut victorieuse, n’était pas beaucoup plus sage. Elle lui envoyait quelquefois de terribles cliens à défendre. Il lui fallait faire l’apologie de brouillons et de séditieux qui troublaient sans cesse la paix publique. Il plaida même un jour ou fut sur le point de plaider pour Catilina. Il est probable que ces complaisances lui coûtaient et que les emportemens de la démocratie lui donnèrent plus d’une fois la tentation de se séparer d’elle. Malheureusement il ne savait où aller en la quittant, et si les plébéiens le blessaient par leurs violences, l’aristocratie avec sa morgue et ses préjugés ne l’attirait guère. Puisque, dans les partis qui existaient alors, il n’en trouvait aucun qui représentât exactement ses opinions et qui convînt tout à fait à son tempérament, il ne lui restait plus d’autre ressource que d’en former un exprès pour lui. C’est ce qu’il essaya de faire. Quand il sentit que l’éclat de sa parole, les dignités qu’il avait remplies, la popularité qui l’entourait, faisaient de lui un personnage important, pour s’assurer du lendemain, pour prendre dans la république une situation à la fois plus solide et plus haute, pour s’affranchir des exigences de ses anciens protecteurs, pour n’être pas forcé de tendre la main à ses anciens adversaires, il chercha à créer un parti nouveau, formé des modérés de tous les autres, et dont il serait le chef ; mais il comprit bien qu’il ne pouvait pas tout à fait improviser ce parti et le faire naître de rien. Il fallait qu’il y eût comme un noyau autour duquel les nouvelles recrues qu’il espérait viendraient se ranger. Il crut l’avoir trouvé dans cette classe de citoyens dont il faisait partie par sa naissance et qu’on appelait les chevaliers.

Rome a toujours manqué de ce que nous appelons aujourd’hui une classe moyenne et bourgeoise. À mesure que les petits cultivateurs des campagnes abandonnèrent leurs champs pour venir habiter la ville, et « que ces mains qui travaillaient le froment et la vigne ne furent plus occupées qu’à applaudir au théâtre et au cirque, » le vide devint de plus en plus grand entre l’opulente aristocratie qui possédait presque toute la fortune publique et ce peuple indigent et affamé qui se recrutait sans cesse dans l’esclavage. Le seul intermédiaire qui existait entre eux était les chevaliers[1]. Ce

  1. Voyez, sur l’organisation des chevaliers, le livre de M. Naudet sur la Noblesse chez les Romains.