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ils reprirent entre eux leur ancienne guerre. Les plébéiens, qui n’avaient plus peur, sentirent renaître leurs rancunes contre la noblesse. Les nobles recommencèrent à jalouser la fortune des chevaliers. Quant aux chevaliers, ils n’avaient rien de ce qu’il faut pour devenir, comme Cicéron l’avait voulu, l’âme d’un parti politique. Ils étaient plus occupés de leurs affaires privées que de celles de la république. Ils n’avaient pas la force du nombre, comme les plébéiens, et manquaient de ces grandes traditions de gouvernement qui conservèrent si longtemps l’autorité à la noblesse. Pour toute règle de conduite, ils avaient cet instinct ordinaire aux grandes fortunes qui leur fait préférer l’ordre à la liberté. Ils cherchaient avant tout un pouvoir fort qui sût les défendre, et César n’eut pas dans la suite de partisans plus dévoués qu’eux. Dans ce désarroi de son parti, Cicéron, qui ne pouvait pas rester seul, se demanda de quel côté il devait se ranger. L’effroi que Catilina lui avait causé, la présence de César et de Crassus dans les rangs de la démocratie l’empêchèrent d’y revenir, et il finit par s’attacher à la noblesse malgré ses répugnances. À partir de son consulat, il se tourne résolument vers elle. On sait comment la démocratie se vengea de ce qu’elle regardait comme une trahison. Trois ans après, elle fit condamner son ancien chef, devenu son ennemi, à l’exil, et ne consentit à le rappeler que pour le jeter aux pieds de César et de Pompée, devenus par leur union les maîtres de Rome.


III

La crise politique la plus grave que Cicéron ait traversée, après les grandes luttes du consulat, est certainement celle qui se termina par la chute de la république romaine à Pharsale. On sait qu’il ne s’engagea pas volontiers dans ce terrible débat, dont il prévoyait l’issue, et qu’il flotta près d’un an entre les deux partis avant de se décider. Il n’y a pas à être surpris qu’il ait hésité si longtemps. Il n’était plus jeune et obscur comme au temps où il plaida pour Roscius. Il avait une grande position et un nom illustre qu’il ne voulait pas compromettre, et il est bien permis de réfléchir quand on joue d’un coup sa fortune, sa gloire et peut-être sa vie. D’ailleurs la question n’était pas aussi simple et le droit aussi évident qu’il le paraît d’abord. Lucain, dont les sympathies ne sont pas douteuses, disait pourtant qu’on ne peut pas savoir de quel côté était la justice, et cette obscurité ne semble pas s’être tout à fait dissipée, puisqu’après dix-huit siècles de discussions la postérité n’a pas réussi encore à se mettre d’accord. Ce qu’il y a de curieux, c’est que chez nous, au XVIIe siècle, en plein régime monarchique,