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tions sont si différentes encombre la politique de fictions inefficaces et choquantes. On en a un exemple dans ce qui se passe aujourd’hui à propos du débat politique et religieux soulevé par l’encyclique. Après la publication du manifeste pontifical, on se trouvait en présence d’une situation religieuse et politique fort nette. Tous les inconvéniens de cette situation retombaient sur les partisans du pouvoir temporel des papes ; tout l’embarras était pour ceux qui, enchaînés par une docilité systématique aux prétentions de la cour de Rome, devenaient complices des empiétemens que l’encyclique commet sur le domaine de la société civile dans le monde moderne. C’était aux polémistes sacerdotaux et laïques du catholicisme en France, en Belgique, en Angleterre, en Amérique, dans tous les pays où la limite est nettement tracée par le principe de la liberté des cultes entre les droits de la société civile et les droits de la conscience religieuse, c’était à ces polémistes catholiques de se débattre sous le poids de la solidarité que leur imposaient les opiniâtres et bruyantes prétentions romaines. Ils étaient pris au piège d’une contradiction insoluble. Ils ne pouvaient soutenir les revendications romaines sans se mettre en guerre ouverte avec les principes essentiels des sociétés modernes, sans s’exclure eux-mêmes du mouvement et de la vie de ces sociétés, sur lesquelles ils avaient voulu, depuis bien des années, exercer une influence politique à la faveur des principes aujourd’hui condamnés sans retour par la papauté. Il eût été utile et salutaire de maintenir pendant quelque temps cette confrontation des principes de la société moderne et des prétentions de la théocratie, sans la compliquer d’aucune intervention intempestive. Cet antagonisme si radical et si franc, laissé à lui-même, eût produit dans les esprits et dans les consciences des mouvemens qui eussent rapidement contribué à la bonne solution des questions religieuses de notre époque, à cette solution qui ne saurait être autre que la séparation complète du spirituel et du temporel, la substitution du système volontaire au système de la subvention des cultes et l’entière liberté des cultes fondée sur les libertés générales du droit commun. Les exagérés du parti clérical se chargeaient déjà eux-mêmes avec un plaisant aveuglement de hâter ce travail de décomposition. Ils proclamaient avec un joyeux orgueil, l’encyclique à la main, que désormais aucun catholique ne pourrait plus s’appeler libéral. Il eût été non-seulement très curieux, mais d’un grand profit moral et politique, d’attendre l’effet de ce profond travail d’idées, de passions et d’intérêts, d’où le principe de la société moderne doit sortir épuré et complété.

Malheureusement le pouvoir en France n’a pas su conserver à la société civile l’avantage entier de cette intéressante situation. On a cru devoir recourir avec une hâte malhabile à de vieux erremens où la société moderne ne peut point trouver des moyens efficaces de défense et de triomphe. On a fait une diversion qui change la forme du débat, qui donne une contenance aux adversaires et leur ménage une retraite commode. Le gouvernement, imitant les pratiques de l’ancienne monarchie, que les articles