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N’importe, ces sauveurs ambulans de la royauté sont implacables, et Marie-Antoinette s’emporte un jour à écrire à M. de Mercy avec un juste soulèvement du cœur : « Les lâches, après nous avoir abandonnés, veulent exiger que seuls nous nous exposions et seuls nous servions tous leurs intérêts. Je n’accuse pas les frères du roi ; je crois leurs cœurs et leurs intentions purs, mais ils sons entourés et menés par des ambitieux qui les perdront après nous avoir perdus les premiers… » Et en définitive la reine multiplie les démarches pour que le comte d’Artois soit évincé à Vienne, pour qu’on déjoue les vaines tentatives des émigrans. Elle s’indigne surtout quand elle apprend que le comte de Provence cherche à se faire reconnaître par les puissances comme régent du royaume avec le comte d’Artois comme lieutenant-général. Après cela, je le sais bien, les Tuileries ne sont pas sans intelligences à l’extérieur, même dans ce monde émigré, et il y a M. de Breteuil qui a les pleins pouvoirs du roi ; mais M. de Breteuil est justement en guerre avec les émigrans, et cela ne détruit pas cette répugnance instinctive, sincère de Marie-Antoinette pour l’émigration en général, pour cette grande désertion de la noblesse française.

Au fond, que veut donc la reine, quelle est sa politique, si on peut appeler de ce nom cet assemblage de sentimens, d’impressions et de velléités confuses ou contradictoires qui se succèdent ? Cette politique se proportionne naturellement aux circonstances ; elle s’accentue selon la gradation des événemens. Jusqu’en 1791, on peut dire que Marie-Antoinette se fie beaucoup, selon ses propres paroles, à la douceur, à la patience, à l’opinion et au temps. En 1791, il vient une heure où il n’y a plus de choix qu’entre ces trois partis : « périr par le glaive des factieux » ou faire toutes leurs volontés, ou bien encore tenter la fortune « pour ses devoirs, pour l’honneur et pour la religion, » comme elle dit. Et à ce moment même quel est l’état de son esprit ? quelles sont ses idées à la veille du voyage interrompu à Varennes ? D’abord, si Marie-Antoinette est bien plus sérieuse qu’une Henriette-Marie, Louis XVI n’est pas même un Charles Ier : l’un et l’autre ont une profonde répulsion morale pour la guerre civile. Il y a dans la famille royale une petite personne dont le cœur ne reculerait pas devant cette extrémité, parce que l’idée de la royauté est restée en elle dans toute son intégrité religieuse ; c’est Mme Elisabeth, qui écrit à son amie Mme de Bombelles : « Tu es bien plus parfaite que moi, tu crains la guerre civile, moi, je t’avoue que je la regarde comme nécessaire. Premièrement je crois qu’elle existe, parce que toutes les fois qu’un royaume est divisé en deux partis, et que le parti le plus faible n’obtient la vie sauve qu’en se laissant dépouiller, il m’est impossible