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leur constance, dans leur inviolabilité, sont des lois. Qu’allez-vous chercher au-delà? et que trouverez-vous avec des vues de l’esprit, avec des conceptions a priori qui sont de pures imaginations sans portée, parce qu’elles sont sans base? Remarquez bien que cette science de l’histoire est le dernier anneau d’une chaîne de science continue, achevée seulement de nos jours, par où cet ensemble prend un caractère de grandeur incomparable. Quand Turgot découvrit la philosophie de l’histoire et la loi du progrès, il ne s’aperçut pas que la science avec cette conquête conquérait tout; mais il n’avait pas lieu, il n’avait pas le droit, en quelque sorte, de s’en apercevoir : la chimie ne faisait que de naître, et la physiologie, qui est la science des propriétés organiques, la biologie, qui est la science des propriétés vitales, n’existaient pas du tout. Aujourd’hui la chaîne est ininterrompue qui unit la plus simple des sciences, la mathématique, à la philosophie de l’histoire ou sociologie, qui est la plus compliquée des sciences.

On sait combien est capital cet achèvement, ce couronnement de la connaissance humaine par la philosophie de l’histoire. C’est par ce côté que la science touche à la morale et au droit public, à la conduite des individus et des sociétés, au principe et à la constitution de l’état. Ici toutefois une remarque est essentielle : je prête à la philosophie positive un langage qu’elle pourrait tenir, mais qu’elle ne tient pas, ou du moins qu’elle n’accentue pas avec assez de force et d’insistance. Cet aspect de sa doctrine, par où elle devient une règle morale et politique, en est, selon moi, le plus triomphant : c’est là qu’elle est le plus près de suppléer à tout ce qui est religion et philosophie. Seulement je ne vois pas qu’elle tire avantage ou du moins qu’elle ait une conscience assez fière de ce grand trait qui la relève du pur matérialisme, qui la distingue et la recommande.

À cette classification des sciences, la philosophie positive ajoute une théorie des âges de l’esprit humain où cet esprit nous apparaît comme s’acheminant vers le règne de la science à travers maint écart. L’homme, en face de la nature, a des manières différentes et successives de l’expliquer : d’abord la manière théologique, qui est de mettre partout des dieux; ensuite la manière métaphysique, qui est de supposer partout des forces abstraites, occultes; enfin la manière scientifique ou positive, qui constate sous le nom de lois le cours permanent et régulier des choses.

Ici est la rencontre des philosophes positifs avec Turgot, qui s’exprime en ces termes : «Avant de connaître la liaison des effets physiques entre eux, il n’y eut rien de plus naturel que de supposer qu’ils étaient produits par des êtres intelligens, invisibles et