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Ce n’est, qu’on m’entende bien, ni l’importance religieuse et littéraire des grandes poésies indiennes, ni l’intervention de la race humaine dans la formation traditionnelle de ses croyances, ni les droits de la science s’appliquant à éclairer, à dégager toutes ces questions obscures et profondes, que je prétends diminuer. Comment se sont formées les religions de l’Inde, de la Perse, de la Grèce, de l’Egypte, qui ont précédé le christianisme? Quel est le caractère et quelles sont les évolutions des grands systèmes religieux et philosophiques de la Haute-Asie, brahmanisme, bouddhisme ou autres? quelle est la marche de l’idée de Dieu dans ce travail confus? dans quelle mesure l’élément aryen et l’élément sémitique ont-ils concouru à la formation de l’Europe moderne? quel est enfin le rapport du christianisme avec tout ce passé? Ce n’est pas un ignorant comme moi, dirai-je à l’imitation de M. Michelet, qui peut se permettre de trancher ou de remuer ces problèmes, faits pour l’esprit d’un Burnouf, et qu’un Burnouf même ne résout pas. M. Michelet, lui, en avouant son incompétence, avec la nature la moins propre à se plier aux précisions, aux sévérités de la science, va, remue, tranche, s’exalte, raille, et croit avoir mis une lumière là où il a mis une fantaisie d’imagination. C’est l’humoriste de l’histoire des religions. Par les obscurités où il se débat, par la légèreté agitatrice de ses hypothèses poétiques, il ne fait que raviver d’une façon plus saisissante ce sentiment humble et grave que le spectacle de l’univers éveille chez tout homme sincère : c’est que dans l’étude des choses, dans l’interprétation des phénomènes du monde moral comme du monde physique, la science est beaucoup, et elle n’est pas tout. Son pouvoir n’est illimité qu’en apparence : les bornes redoutables, invincibles, sont encore partout pour elle. Dans son indépendance, elle refuse de reconnaître le merveilleux, le surnaturel, et le surnaturel la poursuit sous d’autres formes, sous le nom de l’extraordinaire, de l’incompréhensible, qui l’environne et la presse.

Oui, sans doute, la science est devenue de nos jours la passion sérieuse et désintéressée de bien des âmes noblement tourmentées du besoin de connaître, et, par un énergique effort tenté sur tous les points, elle a marché à pas de géant. Elle a découvert des lois nouvelles, des propriétés inconnues de la nature, des affinités ou des combinaisons de races qu’on ne soupçonnait pas. Elle a éclairci la confusion des temps. Elle a trouvé dans l’étude des langues des instrumens nouveaux pour pénétrer le secret des civilisations et des religions, et sous ce rapport on peut dire qu’elle a resserré le cercle des faits sur lesquels les églises se réservaient un droit supérieur d’interprétation, agrandissant ainsi de tout ce qu’elle a soustrait à l’autorité la libre juridiction de l’intelligence humaine. Elle a rétréci le domaine du mystère et de l’inconnu, elle ne l’a pas sup-