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sorte qu’à l’état de hors-d’œuvre dans une comédie dont l’intrigue bien nouée faisait accepter les ariettes. Que dans sa littérature M, Sardou ce plaise à ne tenir aucun compte des genres, qu’il se trompe de porte et donne au Théâtre-Français des vaudevilles du Palais-Royal, c’est là simplement une question de goût dont le public décide en dernier ressort, et si la Papillonne avait réussi comme les Pommes du voisin, Monsieur Garat, ou les Prés Saint-Gervais, je ne vois pas de quel grief la critique pourrait se prévaloir ; mais avec l’opéra les conditions changent du tout au tout. Si les moindres combinaisons n’aboutissent point à la musique, la partie est manquée. Dans le Capitaine Henriot, au lieu d’aider à l’action, la musique à chaque instant y fait obstacle. Ni ces airs ni ces duos ne sont le moins du monde nécessaires. Ils arrivent la plupart du temps pour clore une situation qui ne les commandait pas, et quand les malheureux chanteurs, surmenés par l’intempérance du dialogue, exténués par des efforts inusités de voix et de pantomime, ne demanderaient qu’à reprendre souffle. Il y a au second acte de cet ouvrage une scène dont le pathos mélodramatique semble emprunté à la Tour de Nesle. La vertu qu’on outrage y défend ses droits sur le ton de l’exaltation la plus échevelée. A jurer sur la croix de sa mère, à protester contre les grossières récriminations d’un amant imbécile qu’elle devrait faire chasser par ses laquais, l’héroïne s’escrime, s’égosille, et quand l’actrice touche au terme de cette course à briser une Fargueil, voilà qu’il faut que la cantatrice se redresse pour tenir tête à un duo qui, comme proportions, rappelle celui du quatrième acte des Huguenots.

Avec toute autre que Mme Galli-Marié, le tour de force ne serait pas possible. Quelle organisation vaillante ! quelle fière et indomptable artiste ! Crepanio, ma cantiamo ! On sent qu’elle serait capable, elle aussi, de dire à son ténor ce mot sublime de la Frezzolini à Corsi, un soir que, haletant de fatigue, il hésitait à recommencer la strette du duo de Rigoletto. Avec une voix peu étendue, presque ingrate, Mme Galli-Marié touche parfois au vrai pathétique. Elle a des éclairs, des vibrations ! Je me la représente une manière de Dorval musicienne : de l’inspiration par momens, le diable au corps toujours, toujours aussi l’intelligence, l’aptitude. Qui ne l’a vue dans la Servante maîtresse de Pergolèse, une antiquaille que sa belle humeur, son éclat de rire à la Brohan, remit à la mode, dans les Amours du Diable, où vers la fin elle trouvait des accens d’une émotion, d’une grandeur à évoquer en plein Grisar je ne sais quels souvenirs du trio de Robert, et dernièrement encore dans ce rôle du page de Lara, dont elle fait une de ces figures qu’aimait à dessiner Delacroix d’après Byron ? — Quant à la musique de M. Gevaert, j’en dirai tout le bien qu’on voudra, pourvu qu’on m’accorde qu’elle manque d’une certaine individualité. Dans le Capitaine Henriot pas plus que dans Quentin Durward, je ne surprends le signe d’une vocation particulière : du savoir, du talent, mais en général peu de charme ;