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la transformation de la capitale. Pour bien se rendre compte de l’emploi de cette dépense, il suffit de se rappeler ce qu’était Paris en 1852 et de voir ce qu’il est aujourd’hui ; c’est le résultat de cette comparaison qui a coûté 6 milliards. En avons-nous pour notre argent? Voilà toute la question. Autrement dit, le Paris actuel est-il tellement supérieur au Paris de 1852 que l’on puisse estimer à 6 milliards cette supériorité? Il semble que la chose n’est point tellement évidente qu’on ne soit excusable d’avoir quelques doutes à cet égard. Il s’en faut de beaucoup que cette dépense ait été improductive, et il ne viendra à l’idée de personne de prétendre que la création des halles, la construction d’égouts et de fontaines, l’élargissement de certaines rues, l’assainissement de certains quartiers, n’étaient pas des travaux d’une utilité incontestable; mais il n’est pas également bien prouvé que les capitaux consacrés à des monumens de luxe, à des constructions nouvelles dans des quartiers perdus, n’eussent pas été, avec plus d’avantage pour le pays, dirigés vers des entreprises industrielles et commerciales. Avec 3 milliards, on eût pu sans nul doute exécuter à Paris les travaux les plus indispensables; si l’on s’en était contenté, il serait resté entre les mains du public 3 autres milliards avec lesquels on eût pu construire 10,000 kilomètres de chemins de fer par exemple, ou alimenter des milliers d’établissemens industriels.

Faut-il ajouter que ces dépenses sont une des causes les plus sérieuses de la cherté excessive de tous les objets nécessaires à la vie, qui s’est produite dans ces derniers temps? Oui ne voit en effet qu’en haussant d’une manière factice le prix des salaires et qu’en absorbant une partie des capitaux disponibles, elles accroissent les frais de production et aboutissent nécessairement à une élévation des prix? Je sais bien qu’on n’est point à court de raisons pour justifier toutes ces entreprises. Ainsi l’on prétend que, la circulation de Paris s’accroissant sans cesse, il faut bien ouvrir des voies nouvelles et élargir les anciennes, devenues trop étroites. C’est parfaitement vrai, mais on oublie d’ajouter que ce sont précisément ces travaux exagérés qui ont accru la population parisienne dans une aussi grande proportion par suite de l’élévation artificielle des salaires qu’ils ont produite. On prétend encore que ces travaux ont été un véritable bienfait, puisqu’ils ont nourri de nombreux ouvriers, alimenté des industries diverses et accru par conséquent la prospérité générale. Je ne dis pas non, mais appliquez, je vous prie, le même raisonnement aux 10,000 kilomètres de chemins de fer dont nous parlions tout à l’heure. Est-ce qu’eux aussi n’auraient pas occupé des ouvriers et alimenté des industries? Quant à la prospérité générale, il est permis de croire qu’elle n’eût pas perdu au change. C’est du moins ce qu’on a pensé en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, où les principale villes ne se transforment que peu à peu, suivant les ressources disponibles du moment, mais où l’étendue des voies ferrées est, par rapport à la population, bien