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réputation dans toute la Grande-Bretagne et jusqu’à la cour des rois d’Angleterre. L’un d’eux, un tout jeune homme nommé Lewis, remplissait auprès de Jacques Ier les fonctions de David auprès du roi Saül. O sombre décadence des grandeurs humaines! à Neath, un jour de pluie, dans une des rues les plus tristes et les plus mal famées de cette ville obscurcie par la fumée des usines, j’entendis sortir d’un rez-de-chaussée à l’apparence suspecte et aux vitres dépolies le son d’une harpe éraillée. Voilà donc où en est tombé un instrument qui faisait autrefois la gloire de la principauté de Galles, et sur lequel les anciens ménétriers chantaient les exploits merveilleux du roi Arthur, de Rhys ap Tewdwr, d’Owain Gwynedd et des autres héros bretons !

Quant aux poètes qui figurent en si grand nombre dans les eisteddfodau, ils prétendent au contraire descendre en droite ligne des premiers bardes de la vieille Cambrie. Il convient donc de remonter à leur origine. La tradition veut que l’institution des bardes se rattache dans le passé à la hiérarchie druidique. Lors de la conquête de la Grande-Bretagne par les Romains, leur chef Suétone Paulin, l’an 61 après Jésus-Christ, fit abattre dans l’île d’Anglesea les bois sacrés, voulant ainsi atteindre jusque dans sa racine la religion nationale. Cette île, au nord du pays de Galles, était en effet le siège principal de l’autorité des druides, c’est même là que se rendaient les Celtes de la Gaule et de l’Italie qui voulaient s’initier aux mystères de la doctrine[1]. On montre encore aujourd’hui dans la paroisse de Llanidau, laquelle fait partie de l’île d’Anglesea, les ruines d’un très ancien édifice portant le nom de Trer Drew, et que l’on prétend avoir été la demeure de l’archidruide. Près de ces débris se trouvent les traces d’autres habitations qu’on dit avoir été placées sous la surveillance du grand-prêtre, et parmi ces dernières est Trer Beird, ou, comme on l’appelle encore, le hameau des bardes. La puissance sacerdotale se divisait chez les anciens Celtes en trois ordres, — les druides, qui étaient chargés de l’instruction de la jeunesse, les ovates, qui étudiaient sans cesse les secrets de la nature, et les bardes, dont le ministère était de chanter en vers héroïques les actions des braves. Lorsque les progrès du christianisme eurent vaincu et dispersé les anciens prêtres de la nature, les bardes leur succédèrent. Dans les commencemens surtout, ces derniers se vantaient d’avoir puisé toute leur doctrine aux sources druidiques, afin de se donner une plus grande autorité morale. Ces inspirés jouaient un rôle important dans l’état. Historiens, ils perpétuaient

  1. César confirme le fait. Selon lui, la religion des druides s’était formée dans la Grande-Bretagne, d’où elle s’était ensuite répandue au-delà du détroit. Ceux qui tenaient à s’instruire aimaient à revenir vers la source.