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les cas, de telles réunions, si bien en harmonie avec les goûts et l’esprit des habitans, effacent pour quelques jours les distinctions de rang ou de fortune[1]. La ville de Llandudno avait donc, depuis une semaine, un air de fête : les cabarets (public houses) étaient envahis; une foule de candidats aux honneurs des jeux olympiques semblaient puiser l’inspiration dans les flots dorés de l’lie amère. De même que la plupart de ces congrès littéraires qui ont lieu tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, le présent eisteddfod avait été préparé depuis un an par un comité local et permanent, dont les fonctions consistent à déterminer l’époque de ces solennités, à fixer le nombre et la valeur des prix décernés aux candidats, ainsi que le sujet des poèmes admis au concours. Vers dix heures du matin, une procession composée de bardes, d’ovates, de druides, de ménétriers, se rendit solennellement des bureaux de ce comité sur le terrain du gorsedd. Qu’est-ce donc que le gorsedd? Tel est le nom que l’on donnait aux anciens conciles des bardes. S’il faut en croire la tradition welshe, ces conciles, dans lesquels se votaient les lois et les règlemens de la contrée, cessèrent d’exister soixante ans environ après Jésus-Christ, et furent alors remplacés par les eisteddfodau. Le cortège, étant arrivé sur le théâtre de la fête, se forma en rond autour d’un cercle magique tracé par douze grosses pierres placées à une distance de six pieds les unes des autres, et au centre desquelles s’élevait un cromlech artificiel. Sur le devant du cercle se dressaient trois autres pierres représentant les solstices solaires, tandis que les douze pierres de la circonférence étaient un symbole des douze signes du zodiaque. Les bardes entrèrent dans l’intérieur du cercle sacré, et le son de la trompette proclama que le moment solennel était venu d’ouvrir le gorsedd. Alors le chef des bardes lut la déclaration suivante : « La vérité contre tout le monde[2] ! L’an mil huit cent soixante-quatre, le soleil approchant de l’équinoxe d’automne, dans la matinée du vingt-trois août, le gorsedd, annoncé, selon l’usage, depuis un an et un jour, est ouvert dans la province de Gwynedd; nous y avons invité tous ceux qui peuvent se rendre ici, où nulle arme ne sortira du fourreau, mais où il sera prononcé un jugement sur les meilleures compositions et sur les ouvrages qui méritent de recevoir le

  1. Cette division des rangs n’est pas moins marquée dans le pays de Galles qu’en Angleterre. A Carmarthen, un grand bal avait été donné dans une sorte de club qu’on appelle V institution. On y avait réuni deux classes de la société ; mais pour maintenir entre elles la limite, une corde était tendue d’un bout à l’autre de la salle. Un Français établi à Carmarthen, et que cette séparation indignait, s’avisa de couper la corde : il fut blâmé également par les deux classes.
  2. C’est la devise du pays de Galles.