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Les phénomènes naturels les plus propres sur place à étonner le regard sont donc, par cela même, les moins favorables à l’œuvre du peintre et à la fonction de la peinture. En s’aventurant dans le domaine des pures curiosités géologiques, l’artiste court le risque de perdre la notion pittoresque du beau pour n’acquérir que l’intelligence scientifique des choses, pour n’en savoir plus découvrir et nous révéler que les côtés bizarres, la signification exceptionnelle. A ne considérer que la difficulté des informations et, la tâche une fois donnée, les efforts d’attention qu’elle exige, cela peut être jusqu’à un certain point méritoire. Si l’on tient compte au contraire de l’art proprement dit, des lois qui le régissent, de l’influence qu’il lui appartient d’exercer, cela est inutile et même foncièrement défectueux, car l’impression produite ne saurait ni équivaloir à l’émotion causée par le simple aspect de la réalité, ni se substituer si bien au souvenir de celle-ci qu’elle s’explique par la seule vertu des moyens d’exécution employés. A quoi bon dès lors se vouer à une besogne en dehors des conditions du portrait par l’étrangeté même et les caractères intraduisibles des types, en dehors aussi de l’interprétation idéale, puisque la physionomie de ces modèles n’a plus de sens et disparaît, si l’on essaie de la réviser?

De notre temps néanmoins, l’épreuve a été tentée, et quelquefois avec un remarquable talent, par deux peintres suisses, MM. Diday et Alexandre Calame. En se faisant, il y a plus de trente ans, le chef de ce que l’on appelle un peu ambitieusement aujourd’hui « l’école du paysage alpestre, » et qu’il suffirait de nommer un groupe d’hommes en quête d’un certain progrès, le premier avait le mérite de donner à l’art du paysage en Suisse une allure propre, un caractère national, et de lui inspirer le dégoût des contrefaçons ou des emprunts dont il avait si humblement vécu jusqu’alors. Le second, en poursuivant l’entreprise avec une habileté plus sûre et plus audacieuse en même temps, réussit à devenir le représentant principal des doctrines nouvelles et à les accréditer auprès de la foule, sinon à les justifier complètement. Calame, mort il y a quelques mois, a joui de son vivant d’une grande réputation; même en dehors de la Suisse, il a obtenu des succès qui n’accueillent d’ordinaire que les talens tout à fait supérieurs. Reste à savoir quelle part revient dans les causes de cette popularité au milieu d’où l’artiste était issu, quel surcroît d’importance ses œuvres ont pu emprunter du contraste avec la faiblesse des essais antérieurs, quelle place enfin il convient de leur assigner non-seulement dans l’histoire de l’art local, mais dans l’histoire de la peinture contemporaine. Ce qu’il faut reconnaître tout de suite, c’est que si les tableaux qu’a laissés Calame permettent à la critique de faire ses réserves, de distinguer entre la célébrité acquise et la valeur intrinsèque des