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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/860

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élégances de convention qui avaient prévalu jusqu’alors et les brutalités tout aussi niaises de ce qu’on appelle aujourd’hui le réalisme.

Tandis que Töpffer faisait ainsi acte d’artiste et de réformateur dans ce domaine de l’idylle, paré de grâces captieuses et de coquetteries puériles par Gessner et par les siens, tandis qu’il se confinait pour ainsi dire dans la contemplation des réalités aimables et dans les vallées, l’industrie, une industrie banale, s’emparait des hautes cimes pour en reproduire, non l’image, mais l’effigie, pour spéculer sur l’abstention de l’art et sur la curiosité accommodante des voyageurs. Déjà les fabricans de gravures et les enlumineurs travaillaient activement à multiplier ces vues de glaciers, de pics, de cascades, tous ces vulgaires fac-simile qui aujourd’hui encore suffisent pour contenter la mémoire des touristes revenus chez eux, comme les gouaches représentant les éruptions du Vésuve répondent, dans les magasins de Naples, aux exigences du goût ou aux besoins d’autres voyageurs. Parfois cependant le talent, sans s’aventurer encore ni très hardiment ni très loin, s’était laissé séduire par l’espoir d’un certain succès et par la nouveauté même de la tâche. Deux graveurs établis à Genève, Aberli et le Prussien Charles Hackert, un peintre de Neufchâtel, Maximilien de Meuron, avaient essayé de soustraire les régions supérieures des Alpes à la domination exclusive des ouvriers graveurs et des marchands; mais en général l’art était demeuré absent de ces entreprises topographiques. Importé en pareil lieu par M. Diday et par Calame, il allait donc s’implanter dans un sol vierge, le féconder, si tant est que la chose fût possible, et en tout cas donner à la tentative un caractère assez sérieux pour exciter légitimement l’intérêt.

On a vu qu’avant de devenir l’élève de M. Diday, Calame s’était condamné pendant quelque temps à la besogne d’enlumineur, et que ses désirs mêmes n’allaient pas d’abord au-delà du succès que cet humble métier procurait à ses confrères. Est-ce alors, qu’il prit le goût des modèles promis un peu plus tard à son pinceau? Est-ce, comme on l’a dit, l’influence de Rodolphe Töpffer qui le détermina dans son choix, ou bien les premières courses qu’il fit vers les âpres sommets lui révélèrent-elles sa véritable vocation? Les notes et les lettres que Calame a laissées sont muettes à ce sujet: mais elles témoignent en toute occasion d’une passion si vive pour ce que l’artiste appelle quelque part « des trésors de sauvagerie, des motifs de pages admirables, » que de ces trois suppositions la dernière paraît la mieux fondée. Il y a tout lieu de croire qu’en adoptant le genre de peinture auquel il a su attacher son nom, Calame se créait bien moins un système qu’il n’obéissait à des suggestions spontanées et à la voix de l’instinct. Que les exemples de