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racher un pâle rayon reflété au premier plan dans les eaux bouillonnantes d’un torrent. Sauf cette sinistre éclaircie, pas un jeu, pas un écho de lumière. Le groupe de sapins placé au centre de la composition, les deux masses de rochers qui la limitent à droite et à gauche, tout est envahi par l’ombre, tout, excepté le torrent qui se précipite avec fureur, est immobile, inerte, et comme oppressé sous le poids des lourdes nuées d’où va s’échapper la foudre. Il est difficile de mieux rendre ce recueillement inquiet, ces angoisses silencieuses de la nature au moment qui précède le déchaînement de la tempête; il est difficile aussi de se jouer plus hardiment des obstacles qu’opposent à l’exécution d’un tableau l’extrême aridité des élémens pittoresques, la monotonie d’un site sans végétation, d’un ciel sans lumière, d’un sol partout dépouillé. Si, comme le pensait Calame, en matière de paysage, toute vérité est bonne à dire, nul doute qu’en formulant celle-ci il n’ait fait preuve d’une éloquente franchise et d’une rare force d’expression.

On ne saurait mentionner ici ni analyser une à une toutes les œuvres produites par Calame avec le pinceau, la pointe ou le crayon; ce serait retomber dans des redites et multiplier à l’excès les témoignages supplémentaires là où quelques exemples principaux suffisent. Quelles que soient ces œuvres en effet, tableaux ou dessins, lithographies ou eaux-fortes, elles procèdent de principes invariables, d’une constante unité de sentiment et de doctrine. Objectera-t-on comme des infidélités à la manière habituelle du peintre certains tableaux exécutés par lui lorsqu’il eut visité l’Italie, — les Ruines de Pœstum entre autres, et, dans la série qui représente les quatre saisons de l’année, ce Printemps, aux apparences un peu surchargées d’ailleurs, où toutes les magnificences d’une villa des environs de Rome s’étalent à côté des richesses renaissantes de la végétation? Même en traitant de pareils sujets, Calame garde le goût et le souvenir des paysages de sa patrie. En face des lignes austères, du calme majestueux des plaines de la Grande-Grèce, comme en face de la beauté radieuse des montagnes et des bois de la Sabine, il se préoccupe encore des lignes saccadées et des effets tumultueux que ses regards étaient accoutumés à étudier. S’agit-il par exemple, dans le recueil de lithographies publié en 1847 sous ce titre : Sites variés de paysages, de donner place à une étude de la Campagne de Rome, Calame s’empressera d’appeler un orage à son aide pour transformer les élémens de la scène, en quereller la simplicité, en bouleverser l’effet. Une autre fois, la donnée choisie est-elle une Vue du lac d’Albano, c’est-à-dire d’un lieu dont le charme principal consiste dans la franchise, dans la limpidité de l’aspect, — un voile de brume viendra envelopper les seconds plans, et dérober sous une physionomie d’emprunt