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nous appartient de voir ces choses comme de les nommer — en vertu d’une faculté qui est en elles aussi bien qu’en nous; l’apparition qu’elles font en nous tient au rapport qu’elles ont avec nous. Ceci me conduit à une remarque générale sur laquelle je compte, bien à tort peut-être, pour éclairer ce sujet.

Le monde est plein de rapports, et ne vit que de rapports qui tantôt constituent les êtres, tantôt les soumettent à une action réciproque. Qui est-ce qui n’a pas entendu parler de l’attraction, des affinités moléculaires? C’est ce qu’on appelle les lois du monde, parce qu’il s’agit là de rapports constans et réguliers. L’homme n’est pas autre à cet égard que le reste de la création. Malgré tout ce qui le sacre et l’érigé en individu, avec substance et destinée à lui propres, il n’en a pas moins de toutes parts des rapports, des affinités qui sont les conditions de son existence : rapports avec ses semblables dans la famille et dans la cité, rapports avec le monde extérieur, avec la terre qui le porte et le nourrit, avec l’atmosphère qui l’abreuve, avec la société qui le façonne, avec la justice qui rayonne en lui de tous ses préceptes et de toutes ses sanctions. Seulement, tandis que nous ignorons comment opèrent ailleurs les affinités, nous le savons à souhait dès qu’il s’agit de l’homme. Comme il a cela de particulier entre tous les êtres qu’il est un être pensant, sa pensée est le lieu où les rapports se produisent, et le moyen dont ils usent pour se faire obéir est l’attrait du plaisir. Tel est le privilège de l’homme; il a la notion des rapports qui l’unissent au reste de la création. Toutefois, comme cette notion est celle d’un rapport nécessaire avec les êtres et les choses du dehors, comme nous leur appartenons autant qu’ils nous appartiennent, cette notion ne pouvait être à la merci d’une opération facultative, arbitraire de notre esprit. Aussi est-elle spontanée; ce rapport marque sa nécessité, ces êtres attestent leur indépendance à notre égard, leur extranéité, en ce qu’ils viennent à nous sans attendre un travail, un appel de notre esprit et de notre volonté. Là tout est irréfléchi, involontaire de notre part, impérieux et irrésistible de la part des choses à nous relatives. Pas plus que nous ne faisons ces choses, nous ne découvrons par un effort de notre pensée le rapport vital qu’elles ont avec nous. C’est un rapport qui nous apparaît, qui nous envahit, et si l’on ajoute que des rapports impliquent l’existence des choses, des êtres relatifs les uns aux autres, l’on peut bien dire qu’à ce moment notre esprit est un vase se remplissant de la vérité, un miroir reflétant la vérité. Tel est le fondement de la foi que nous devons aux instincts, soit à celui de manger pour vivre, soit à celui de vivre pour mériter par-delà le tombeau une vie meilleure. Je pense, donc je suis, a dit Descartes. Là se