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d’Alexandrie, de la pointe de Coni au Lac-Majeur, a été sillonnée de chemins de fer. Le rapide développement de ce réseau, arrêté sur trois côtés par une formidable enceinte de montagnes, a fait sentir de plus en plus la nécessité d’ouvrir une issue qui rattachât le Piémont et l’Italie à la grande circulation européenne, et l’on a mieux compris cette nécessité encore quand on a vu se développer à l’intérieur le mouvement industriel, heureux contre-coup du mouvement politique libéral. Le Piémont s’est raidi contre l’obstacle qui le séparait des autres nations, il a fait des efforts violens pour rompre cette enceinte qui fut jadis son rempart, et que dans ses préoccupations militaires il appelait sa cuirasse, l’usbergo del Piemonte, trop étroite maintenant pour sa taille. C’est un spectacle attachant que celui des efforts, des projets, des combinaisons, des inventions, qui se sont produits depuis vingt ans pour triompher de la résistance des Alpes. On voudrait parcourir ici cette période dramatique d’essais et de tâtonnemens, d’encouragemens et d’attente, avant d’assister au travail des machines extraordinaires qui perforent maintenant les Alpes des deux côtés à la fois.


I.

En remontant l’étroite vallée de l’Arc jusqu’à, la hauteur de Modane, on arrive au point d’attaque des Alpes. C’est là qu’en décrivant l’arc qui lui a valu son nom, la vallée savoisienne se rapproche le plus de la vallée piémontaise de la Dora Riparia, qui court parallèlement de l’autre côté. Ces deux vallées pressent et étranglent la grande chaîne en se rapprochant, et ne laissent entre leurs coupes profondes et abruptes qu’un massif de douze kilomètres et demi d’épaisseur à traverser. Dans toute l’enceinte des Alpes, il n’est pas à la même altitude de paroi plus mince et qui offre dans ses abords moins d’obstacles à un chemin de fer. Aussi cette section des Alpes Cottiennes, auxquelles le roi Cottius, qui régnait jadis à Suse, a laissé son nom, a-t-elle été désignée dès les temps les plus anciens pour les facilités du passage à tous les envahisseurs de l’Italie, aux Gaulois de Brennus, aux Africains d’Annibal et à leurs descendans les Sarrasins, aux armées franques de Pépin et de Charlemagne allant fonder ou soutenir la souveraineté hybride contre laquelle l’Italie s’agite encore aujourd’hui, et aussi à ce roi de France, Charles le Chauve, qui vint y mourir dans une pauvre cabane du côté de la Savoie, empoisonné, dit-on, par son médecin.

Cette section dont les cols abaissés et comme creusés entre les sommités par les courans des mers primitives ont servi d’écoulement aux flots humains des invasions de vingt siècles, la science