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à l’époque des sécheresses. Un réseau de coulées et de marais coupe la plaine dans le voisinage des grandes rivières, et sépare les uns des autres les terrains plus secs où campent les tribus indiennes. Au nord du Pilcomayo, des bouquets de palmiers se montrent parmi les arbres généralement peu élevés qui ombragent le sol du Chaco ; mais, plus au sud, ces massifs deviennent rares ; les mimosas et d’autres arbustes épineux constituent presque toute la végétation forestière. Çà et là s’étendent des espaces libres couverts de graminées : ce sont les petites savanes qui annoncent le voisinage de la grande mer de verdure.

La pampa proprement dite occupe toute la contrée qui s’étend du nord au sud entre le Salado et les régions de la Patagonie parcourues par les Indiens sauvages. C’est là l’immense et célèbre pâturage qui a fait la richesse de la république à cause des bestiaux qui le parcourent par centaines de mille et par millions. L’immense surface herbeuse semble complètement horizontale comme la nappe de l’Océan ; de tous les côtés la rondeur du ciel repose sur une ligne circulaire aussi nette que si elle eût été tracée au compas. Aucun objet ne rompt la grandiose uniformité du paysage, si ce n’est un troupeau de bœufs, la muraille jaunie de quelque estanda, ou bien un arbre solitaire oublié par la hache du gaucho. Des flaques, les unes salines ou saumâtres, les autres remplies d’eau douce, parsèment la prairie et continuent la nappe onduleuse des graminées par des touffes de joncs et de roseaux à travers lesquelles on voit briller çà et là un reflet du ciel bleu, un rayon de lumière. Pendant les jours brûlans de l’été, le mirage fait osciller les couches d’air qui pèsent au loin sur les campagnes, et figure des objets fantastiques, des lacs imaginaires ; parfois le vent s’élève et déroule en longs tourbillons les nuages de poussière qu’il prend sur les chemins piétines par d’innombrables bestiaux. La pampa est la région par excellence de la république argentine, celle que les poètes ont chantée avec le plus d’enthousiasme, celle que les voyageurs se rappellent avec le plus d’amour. D’où vient que ces espaces monotones, ces océans d’herbes sans limites visibles ont toujours été célébrés en paroles plus fières et plus émues que ne l’ont été les montagnes à la stature colossale, aux formes si variées, aux jeux de lumière si changeans ? Pourquoi le Magyar Petœfi, pourquoi le Russe Gogol, l’Américain Cooper, les poètes colombiens Mitre, Echeverria et tant d’autres préfèrent-ils l’interminable prairie aux forêts, aux cascades et aux neiges des Karpathes et des Andes ? Sans doute c’est que les âmes simples comprennent plus facilement la beauté solennelle et grandiose de ces plaines immenses, mers d’herbes, landes rases ou pelouses de fleurs qui s’étendent d’un horizon à