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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/991

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III.

Ainsi les divers changemens accomplis de nos jours dans les contrées de la Plata donnent complètement tort aux pessimistes. Ceux-ci prédisaient naguère la désorganisation sociale du pays et niaient la possibilité d’un accord entre l’autonomie des provinces et l’intégrité de la nation ; on peut reconnaître aujourd’hui qu’en dépit de toutes les révolutions locales les républiques du bassin de la Plata ont en elles-mêmes assez de vitalité pour surmonter à la longue les élémens de désordre qui se trouvent dans leur sein. Les ennemis de l’intérieur, l’ignorance, la superstition, la barbarie native, seront vaincus. Quant aux ennemis du dehors, ils ont été jusqu’à ce jour moins redoutables, car depuis la guerre de l’indépendance contre les Espagnols la république argentine et le Paraguay n’ont point eu à redouter d’invasion étrangère. Seule, la Bande-Orientale a eu beaucoup à souffrir des attaques des Portugais et des Brésiliens ; son existence comme république indépendante a été supprimée une fois et souvent compromise. Néanmoins il est très improbable que le Brésil, ce pays de 8 millions d’habitans, sorte vainqueur de la lutte qu’il vient d’entreprendre contre le faible état voisin, dépourvu d’armée, de navires, de finances, et peuplé de 300,000 âmes à peine. C’est que l’Uruguay ne peut rester isolé : dût-il même succomber pour un temps, il représente contre la monarchie esclavagiste un principe qui est celui de toutes les républiques-sœurs du continent colombien. Entouré par un demi-cercle d’états qui se peuplent, s’enrichissent et se civilisent dans toutes leurs couches sociales beaucoup plus rapidement que lui, l’empire du Brésil ne sera certainement pas le plus fort.

Pendant les deux derniers siècles, et même au commencement du nôtre, les seules causes des guerres presque incessantes qui sévissaient sur les frontières entre les colons portugais et les descendans des conquérans espagnols étaient l’amour des combats, le désir du pillage, les haines de race et le conflit des intérêts commerciaux. Les Mamelucos de la province de Saô-Paulo, terrible horde de cavaliers issue du croisement des Portugais et des Indiens Tupis, se distinguaient surtout dans ces luttes féroces, et sur divers points ils accomplirent avec tant d’acharnement leur œuvre de dévastation, que, parmi les territoires des missions et du Paraguay, dépeuplés par eux il y a plus de cent ans, plusieurs sont encore à l’état de solitudes. Sur les bords de l’estuaire de la Plata, la guerre avait son origine première dans les rivalités de commerce, les Portugais ayant le plus haut intérêt à s’établir solidement à l’embouchure de ce grand système fluvial, qu’ils considéraient comme leur