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se plaignait qu’il se gâtait fort avec les valets. Ai-je besoin de dire combien cette négligence est loin de nos habitudes ? Aujourd’hui on ne sacrifie plus ses enfans les uns aux autres, on se sacrifie à eux. On ne les laisse plus parmi les valets, dans les antichambres ; ils s’installent, ils règnent au salon ; ils sont devenus les maîtres et quelquefois les tyrans de la famille.

Je me suis trouvé insensiblement amené, à propos des autres, à parler de nous. Quand on compare entre elles les deux époques dont les lettres de Cicéron et celles de Mme de Sévigné nous entretiennent, il est bien difficile de ne pas faire un retour sur soi, et de ne pas songer aussi un peu à notre temps. Je ne veux pourtant pas céder au plaisir de faire un parallèle qui m’éloignerait trop du sujet que je traite. Je dirai seulement qu’il me semble que cette comparaison ne serait pas toujours à notre désavantage, et qu’après tout les tableaux du passé que nous avons sous les yeux ne sont pas faits pour nous dégoûter du présent. Je suis surtout frappé de voir que nos devanciers se plaignaient déjà des maux dont nous souffrons nous-mêmes, et que les fautes dont ils s’accusaient sont précisément celles que nous nous reprochons avec le plus d’amertume. Par exemple, on nous répète à satiété que nous n’avons plus souci que de l’argent, que nous ne savons que compter, et que cette passion a remplacé pour nous toutes les autres. Assurément je ne voudrais pas prétendre que ce reproche n’est pas fondé, mais je suis un peu surpris de voir qu’Horace l’adresse déjà aux gens de son époque, et presque dans les mêmes termes. De même je remarque à tout moment dans les lettres de Cicéron que les questions d’argent dominent toutes les autres, que les convenances faisaient souvent les convictions, et qu’il arrivait aux hommes d’état les plus illustres de sacrifier sans scrupule leurs principes à leurs intérêts. Si de la république romaine je passe au XVIIe siècle, je lis dans Balzac ces paroles qu’on croirait écrites par un moraliste contemporain à l’usage de la jeunesse d’aujourd’hui : « De l’âme des fermiers et des receveurs, il a passé, ce misérable intérêt, en celle des gentilshommes et des princes ; il entre dans les professions qui en sont apparemment les plus éloignées. On ne se laisse plus prendre à la gloire ; les belles opinions ne font plus de secte ; elles ne gagnent rien sur des esprits qui veulent toucher et compter leur félicité, qui n’estiment que ce qui tombe sous les sens et qui est de mise dans le commerce. » Balzac n’a rien exagéré. La correspondance de Mme de Sévigné nous le fait bien voir en nous montrant combien les gens étaient occupés alors de faire leur fortune et tout ce qu’ils osaient pour l’accroître. Cette époque, qui nous paraît si noble dans ses affections, si désintéressée dans ses goûts, si curieuse du beau, si éprise du grand, que nous ornons à profusion de toutes les qualités