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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1037

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— qui sont pleines de vie ; il en est même d’improvisées et tout à fait libres[1], et qui naissent de cette ardente passion pour l’étude, pour la discussion, devenue un des traits caractéristiques de la société napolitaine. Aussi est-ce surtout par la science, par l’échange des idées, que l’Italie agit sur Naples, et que Naples de son côté réagit sur l’Italie. Ce qui montre le mieux la fécondité de cette union intellectuelle, c’est le développement donné à l’instruction publique, qui avait si longtemps sommeillé à Naples. L’université déchue s’est relevée comme par enchantement ; c’est elle qui remue le plus d’idées, comme il arrive dans tous les pays où la pensée est libre et où l’intelligence est au pouvoir. En Italie comme en Suisse et en Allemagne, les savans, les lettrés, les poètes même sont avant tout des professeurs. Le livre n’est pour eux que le superflu, la récréation des soirées et la fête des dimanches ; ils regardent comme leur œuvre essentielle et capitale les simples leçons qu’ils donnent aux jeunes (i giovani), c’est le mot consacré. Ils sont orateurs, ils sont prêtres, pères spirituels d’une famille incessamment renouvelée qui perpétuera leur pensée et leur science, d’une postérité qui aura grandi de leur vivant.

C’est donc à l’université qu’il faut entrer, si l’on veut étudier le mouvement des idées à Naples. Le dictateur Garibaldi, par deux décrets signés à vingt-quatre heures de distance, avait dépeuplé toutes les chaires et les avait repeuplées le lendemain. « Ceux-là furent chassés de leurs postes (dit un rapport officiel) que la faveur plus que la science avait placés en ce lieu et qui avaient profané le lieu et la science, et l’on mit à leur place une phalange de nobles esprits qui jusqu’alors étaient restés solitaires et qui, dans le silence du foyer, dans les chaînes des prisons, ou dans les tristesses de l’exil, avaient préparé ou attendu le jour de la délivrance. » Cependant les deux signatures de Garibaldi n’avaient pu suffire pour improviser en deux jours toute une université. Les nouveaux maîtres étaient encore absens, les écoliers dispersés, quelques-uns se battaient devant Capoue ; il fallut laisser passer l’orage. Le calme rétabli, tout le monde se mit à la besogne. L’état donna l’exemple en quadruplant l’allocation destinée à l’instruction

  1. De ce nombre est celle qui se réunit tous les soirs à la librairie Decken, sur la place du Plébiscite, et ce n’est guère qu’à Naples qu’on peut avoir de pareils spectacles. Savans et lettrés, écoliers et maîtres viennent là en foule et prolongent d’instructives conversations sur les sujets les plus divers. Le philologue Lignana, si versé dans les langues de l’Orient, raconte ses voyages en Perse ; l’astronome del Grosso récite ses poèmes lyriques sur les nébuleuses ; le père Tosti, qui descend quelquefois du Mont-Cassin, rappelle les gloires de son couvent. Quelquefois une conversation générale s’engage, et ce qui la provoque d’ordinaire, ce sont les volumes nouveaux arrivé » de Paris ou de Berlin, qui autrefois pénétraient si difficilement à Naples, et qui maintenant, peu de jours après la publication, sont dans toutes les mains.