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Bellecourt, pour se faire accorder un nouveau délai, et le colonel Neal, à la requête de ce dernier, consentit à suspendre toute opération jusqu’au 11 mai.

Par malheur les événemens intérieurs du Japon n’étaient pas de nature à hâter une solution pacifique. Des documens adressés d’Hakodadé par les agens consulaires informaient les Européens que le parti hostile aux étrangers avait, sous la pression du nombre et des influences, arraché au mikado un décret d’expulsion de tous les résidens. En vain le taïkoun, disait-on, avait essayé de modifier les idées du souverain spirituel ; il avait dû s’engager à l’exécution immédiate de la mesure prise par le mikado, et plusieurs daïmios puissans étaient en outre chargés de commencer la lutte sur divers points. Comme pour donner plus de poids à ces graves nouvelles, un fait inattendu se produisit à Yokohama dans les premiers jours de mai. Un beau matin, on apprit le départ des Japonais, qui se trouvaient au nombre de quelques milliers d’âmes, soit dans le quartier indigène comme marchands, soit en qualité de domestiques dans les maisons des étrangers. Sur l’ordre des yacounines (agens du taïkoun et des principaux princes), tous s’étaient enfuis. « Nous craignons bien plus, disaient-ils, le sabre de nos officiers que les dangers qui doivent résulter de l’ouverture des hostilités dans la ville. » La route de Kanagava était couverte d’une file interminable de piétons, de chevaux et de charrettes à bras portant les plus jeunes enfans et les bagages des fugitifs ; en trois jours, l’évacuation devait être complète, et la colonie européenne allait dès lors être privée de tout approvisionnement. Dans des circonstances aussi graves, l’entente des puissances devenait urgente. Les autorités étrangères, après s’être concertées, déclarèrent au gouverneur de Yokohama que l’évacuation, si elle continuait, serait regardée comme un acte d’hostilité déclarée de la part du gouvernement japonais et suivie sans délai de l’occupation militaire de Yokohama. Cette démarche comminatoire eut un plein succès : le gouverneur fit cesser le mouvement d’émigration, et sur l’ordre qu’ils en reçurent ceux des Japonais qui s’étaient déjà réfugiés dans les terres reprirent le chemin de la ville du même pas docile et insouciant qu’ils l’avaient quittée.

Les progrès incessans du parti féodal avaient bien changé la nature et les proportions du différend primitif : l’indemnité due aux Anglais n’était plus la seule question en jeu ; il s’agissait de l’observation des traités signés et de l’existence même de la colonie étrangère. Aussi les représentans de la France et de l’Angleterre, laissant de côté d’un commun accord l’ultimatum précédent, informèrent l’envoyé du gorodjo qu’ils s’étaient entendus avec les amiraux