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avait été commis sans provocation ; la politique ou le fanatisme japonais avait fait cette fois encore une nouvelle victime.

Le lendemain soir, le corps du malheureux officier était conduit à sa dernière demeure, accompagné de détachemens de soldats de toutes nations, des résidens, des légations, de tous les officiers des forces de terre et de mer réunies à Yokohama. Ce nombreux et imposant cortège défila lentement dans les rues de la ville, et, pénétrant dans le cimetière européen, put saluer en passant les tombes qui rappelaient d’autres massacres non moins odieux, celles des deux officiers russes assassinés en 1859, des deux capitaines hollandais mis en pièces dans les rues mêmes de Yokohama en 1860, celle de M. Richardson, tombé treize mois auparavant, jour pour jour, plus loin celles des deux militaires morts bravement à leur poste, en juin 1862, lors de la seconde attaque de la légation anglaise. Ils reposaient désormais côte à côte, sous les grands arbres de la colline d’Omoura, à l’exception d’un seul, M. Heusken, le jeune interprète frappé à Yédo en 1861. Celui-là avait été enseveli dans la capitale, au milieu des jardins de la légation américaine. Désormais il n’était pas une des nations admises chez le peuple japonais qui n’eût à revendiquer une victime du sauvage orgueil de ses daïmios !

Dès la veille, les autorités françaises avaient mis le gouvernement japonais en demeure de rechercher et de livrer les coupables. Cette fois le meurtre n’avait pas été commis au grand jour, ainsi que celui de l’année précédente, les circonstances et les causes de l’attentat étaient entourées du plus profond mystère. S’agissait-il d’une vengeance personnelle ? D’après les allures ordinaires et les derniers incidens de la vie de M. Camus, cette supposition était inadmissible. Était-ce un nouveau défi de quelqu’un de ces fiers daïmios qui prêchaient la croisade contre les étrangers, ou bien le gouvernement de Yédo lui-même, n’ayant pas réussi par ses manœuvres astucieuses à provoquer l’évacuation de Yokohama, avait-il voulu appuyer d’un exemple tragique ses obscures menaces ? Le lendemain de l’assassinat de M. Camus, les autorités locales vinrent elles-mêmes remettre au ministre de France les premiers rapports de leurs agens de police. Ces documens nous apprenaient qu’un ou deux paysans avaient assisté de loin à la scène du meurtre ; trois samouraï armés de sabres avaient frappé l’officier ; on les avait vus s’éloigner ensuite rapidement du côté du Tokaïdo. Rien de plus précis ne put être obtenu par la suite ; de volumineux dossiers, signés d’une armée d’espions, avaient permis de suivre la trace de ces trois hommes jusqu’à une assez grande distance de la ville, puis les indications avaient manqué subitement. Le voisinage du Tokaïdo avait pu favoriser la retraite et assurer l’impunité des assassins dans le cas où ils auraient appartenu à quelque grand personnage stationné