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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/15

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plus remarquable développement ; mais on le retrouve çà et là dans quelques autres parties du Magne en proportions moins considérables.

À côté de ces travaux pacifiques des femmes, il en est d’autres qui, accomplis par les hommes et répandus à profusion dans tout le Magne, contribuent pour leur part à donner à cette province une physionomie spéciale. Je veux parler des immenses travaux défensifs derrière lesquels les Maïnotes ont su maintenir leur indépendance, constamment menacée. Les rochers les plus élevés, les escarpemens les plus inaccessibles, les collines et les montagnes, les récifs qui bordent la mer, l’entrée des défilés, tout est couvert de fortifications : les unes, simples pyrgos à deux étages ; les autres, véritables châteaux forts crénelés, garnis de meurtrières ; celles-ci à peu près en ruine, abandonnées aux oiseaux de proie ; celles-là intactes et solides, habitées par quelques descendans rares et appauvris des anciennes familles de la contrée, ou par des chefs de bandes qui se sont installés dans les manoirs restés sans possesseurs depuis les dernières guerres nationales. Des cavernes même ont été de toutes parts creusées dans le roc, pour servir d’observatoires et de postes avancés invisibles à l’ennemi. Aussi les Maïnotes ont-ils donné à leur pays le surnom de Polypyrgos (aux nombreuses tours), épithète expressive, telle que la langue grecque peut seule en fournir et telle qu’Homère savait en trouver. Le peuple de Maïna, qui a vécu pendant des siècles sur ce formidable pied de guerre ; ne peut s’en désaccoutumer. Il erre dans ses retranchemens, autour de ses vieilles forteresses, comme un soldat à qui l’inaction pèse, et qui se croit toujours à la veille d’une nouvelle bataille. Il professe pour ses armes un culte religieux, et met son orgueil à les parer des plus riches ornemens. J’ai vu sur l’épaule de plus d’un paysan des crosses de carabines ornées d’incrustations et de ciselures qui auraient excité l’envie d’un amateur de curiosités. Sous son accoutrement guerrier, mélange de richesse et de misère, le Maïnote ne rit jamais et parle peu : c’est là un des traits qui le distinguent de l’habitant loquace et bruyant de l’Attique et même du Péloponèse. Sa mâle physionomie est pleine de fierté et de vague tristesse ; on lit sur son front l’orgueil légitime que lui inspirent l’antiquité de sa race et la durée ininterrompue de son indépendance, en même temps que le sentiment des souffrances qu’il a supportées pour rester libre. Le district de Zarnate, frontière septentrionale du Magne, a toujours opposé aux Turcs une infranchissable barrière. Chacun de ses châteaux forts et de ses pyrgos a sa légende héroïque. Les Mourzinos, les Troupianos, les Dourakis, les Capètanakis, étaient autrefois les principaux seigneurs du pays de Zarnate. Il n’y a pas