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par les visiteurs qui venaient, armés de pied en cap, rendre leurs devoirs au seigneur Spiros. Le repas du soir nous fut servi à la klephte ; nous mangeâmes, accroupis autour d’une table basse couverte d’une nappe où chacun s’essuyait la bouche et les doigts tour à tour, et nous bûmes dans le même verre, qui circulait à la ronde et sans relâche. Spiros était intelligent, et j’obtins de lui de précieux renseignemens sur l’histoire et les mœurs de son pays, ainsi que sur quelques-unes des anciennes et nobles familles maïnotes, dont un petit nombre seulement a survécu aux dernières guerres contre les Turcs.

Les environs de Prastia étaient, au moment de mon passage, ravagés par la fièvre, fléau qui parcourt incessamment la Grèce des bords de la mer à la cime des montagnes, et qui sévit dans les lieux même les plus salubres et les moins accessibles en apparence aux exhalaisons méphitiques des plaines. Contre ce fléau, le paysan de l’intérieur est désarmé. William Leake assure avoir rencontré dans le Magne un aventurier français qui s’était fait la réputation d’un éminent docteur ; toute sa science consistait à administrer à ses malades de petites doses de tabac à priser qu’il puisait dans une superbe tabatière d’or. Cette tabatière d’or lui devint funeste ; des Kakovouniotes tuèrent un jour le pauvre docteur pour s’emparer, non de la précieuse panacée, mais du riche bijou qui la contenait. Les Maïnotes n’en sont plus à croire à l’efficacité médicale d’une prise de tabac ; mais ils ne connaissent guère d’autres remèdes que les simples cueillis sur les montagnes, ou les formules magiques destinées à conjurer le mal. Lorsque ces deux moyens sont impuissans, ils ont recours au prêtre. Celui-ci s’assied au chevet du malade, impose les mains sur son front, quelquefois pendant une nuit entière, et récite à haute voix certains versets des livres sacrés auxquels les croyances populaires attribuent la vertu précieuse d’exorciser la fièvre. Il arrive parfois que le fluide magnétique qui, par le fait de l’imposition des mains, se dégage à l’insu même de l’ignorant opérateur procure quelque soulagement ou termine une crise ; mais le plus souvent le malade expire entre les mains du prêtre, qui peut ainsi passer sans transition de ses exorcismes aux prières des trépassés. Pour dernier acte de son ministère, il bénit le clou que le superstitieux paysan enfonce à la porte de la chambre du mort, afin d’empêcher que celui-ci ne sorte la nuit de sa tombe et ne revienne effrayer les vivans par de redoutables apparitions.

De Prastia, une demi-journée de marche conduit à Vitulo, l’ancienne OEtylos. Vitulo, l’une des plus anciennes villes du Magne, possède une population d’environ deux mille âmes, plusieurs monastères et un évêché dont l’établissement remonte aux premiers