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en foule. Les proscrits, les misérables s’y rendent des deux bouts du monde. Jamais tant d’entretiens de générosité sans honneur,… tant de desseins sans action, tant d’entreprises sans effets ; toutes imaginations, toutes chimères : rien de véritable, rien d’essentiel que la nécessité et la misère. »

La fidélité de Saint-Évremond ne demeura point sans récompense. Une pension de mille écus, le brevet de maréchal-de-camp des armées du roi, un emploi militaire en Guienne en furent le prix ; mais cette fortune fut brusquement interrompue, et pour s’être permis de donner au duc de Candale, son ami, des conseils contraires à ceux du cardinal, le nouveau maréchal-de-camp se vit tout à coup enfermé à la Bastille. L’emprisonnement, du reste, ne dura pas longtemps. Ce ne fut qu’une sorte de halte dans le goût que Mazarin avait conçu pour lui depuis la fameuse relation des troubles de Normandie. On le retrouve quelques mois plus tard parmi les courtisans qui suivirent le cardinal dans le voyage qu’il fit pour conclure le traité des Pyrénées. Témoin d’une paix qui désolait les gens de guerre, et dont les stipulations semblaient moins avantageuses que ne pouvait le faire espérer le succès de nos armes, Saint-Évremond partagea l’étonnement et l’indignation que ressentirent ses amis. La conduite du ministre lui parut inexplicable. Il n’y vit que la timidité d’un vieillard qui voulait imposer à la France un repos dont il avait besoin, l’avarice d’un particulier qui rendait des provinces et se réservait des bénéfices. Plein de ces pensées, il leur donna dans une lettre confidentielle au marquis de Créquy cette forme d’une ironie soutenue et sérieuse dont il possédait le secret : «….. Le plus grand mérite du chrétien est de pardonner à ses ennemis… Le châtiment de ceux qu’on aime est l’effet de l’amitié la plus tendre. M. le cardinal a pardonné aux Espagnols pour châtier les Français. En effet, les Espagnols, humiliés par tant de pertes, devaient attirer sa compassion et sa charité, et les Français, devenus insolens par les avantages de la guerre, méritaient d’éprouver les rigueurs salutaires de la paix… Son éminence peut se flatter de n’avoir pas fait des pas inutiles, L’Alsace, les biens d’Italie, l’abbaye de Saint-Waast peuvent le consoler de la peine qu’il a prise, au lieu que le chimérique don Louis, qui s’est amusé à l’intérêt général, a tiré toutes les dépenses qu’il a faites de son propre fonds. » Cette dernière accusation est sans doute spécieuse ; mais ne pourrait-on trouver quelque vérité dans plusieurs des pensées que Saint-Évremond prête ironiquement au cardinal : « Les Français portent toujours leur vue au dehors sans regarder jamais au dedans ; dissipés sur les affaires d’autrui, ils ne font point de réflexion sur les leurs ? » Mazarin avait-il si grand tort de penser, au lendemain des troubles de la fronde, que les ennemis de la France