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celles d’Hortense. Mme Mazarin mourut en effet débitrice envers Saint-Évremond d’une somme que la pauvreté de l’exilé lui rendait considérable, qu’Hortense ne s’inquiéta pas de lui rendre, et qu’il n’eut garde de réclamer d’elle, comme il l’avait fait de Ninon.

Si l’on s’arrête ici à parler d’Hortense Mazarin, c’est qu’elle a réveillé dans le cœur de Saint-Évremond tout ce côté d’affection qui nous était inconnu, qu’elle fut le démenti vivant de cette philosophie où il se serait enfermé, toujours plus indifférent aux autres et plus occupé de lui ; c’est qu’elle fut, si l’on peut le dire, une tardive apparition de la jeunesse qui pendant quelques années dut charmer le vieillard, et lui donner des joies et des tristesses qu’il devait plus tard regretter avec amertume. C’est en vain qu’il s’est détaché de l’ambition pendant les longueurs de son exil, et qu’il a réduit les devoirs du sage à l’économie des derniers plaisirs. Il se reprend à la vie ; il se laisse entraîner à des occupations, à des fatigues qui, pour la première fois, viennent d’un autre que lui. Il se contraint et se transforme pour lui plaire. Il joue et perd au jeu. Il boit les vins qu’il n’aime pas, il renonce à la cuisine française ; ses meilleurs momens auprès d’elle sont encore ceux où il peut se faire garde-malade. Les brusqueries de la duchesse Mazarin reviennent avec la santé ; l’ardeur de vivre la reprend dès qu’elle échappe à la peur de mourir. La bassette, les longs repas, le train ordinaire, recommencent ; les conseils que le philosophe hasardait ne sont plus écoutés, on l’interrompt par l’épithète de radoteur, ou par ce vers de la tragédie de Pompée :

Souviens-toi seulement que je suis Cornélie !

Saint-Evremond parle quelque part de M. de Barillon, alors ambassadeur de France en Angleterre, qui, mangeant plus que personne, avait un admirable secret contre les excès de table. « Il entretenait Mme Mazarin des religieux de la Trappe, et quand il avait parlé une demi-heure de leur abstinence, il croyait n’avoir mangé que des herbes non plus qu’eux. Son discours faisait l’effet d’une diète. » Mme Mazarin avait un procédé tout semblable : elle formait de temps en temps des projets de retraite qui lui laissaient l’illusion de s’être convertie. « Vous savez, disait-elle alors, que je me ferai quelque jour carmélite. » Comme elle se trouvait dans ces dispositions, un des fils de la comtesse de Soissons, son neveu, tomba amoureux d’elle, et, dans un duel qu’il eut avec le baron Banier, son rival, vint donner à sa tante une occasion toute naturelle de mettre à exécution ses désirs de réforme. Il tua son adversaire. La douleur d’Hortense fut si vive qu’elle eut un moment la résolution