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physiologie le matérialisme ne conduit à rien et n’explique rien ; mais un concert en est-il moins ravissant parce que le physicien en calcule mathématiquement toutes les vibrations ? Un phénomène physiologique en est-il moins admirable parce que le physiologiste en analyse toutes les conditions matérielles ? Il faut bien que cette analyse, que ces calculs se fassent, car sans cela il n’y aurait pas de science. Or la science physiologique nous apprend que, d’une part, le cœur reçoit réellement l’impression de tous nos sentimens, et que, d’autre part, le cœur réagit pour renvoyer au cerveau les conditions nécessaires de la manifestation de ces sentimens, d’où il résulte que le poète et le romancier qui, pour nous émouvoir, s’adressent à notre cœur, que l’homme du monde qui à tout instant exprime ses sentimens en invoquant son cœur, font des métaphores qui correspondent à des réalités physiologiques. Quelquefois un mot, un souvenir, la vue d’un événement, éveillent en nous une douleur profonde. Ce mot, ce souvenir ne sauraient être douloureux par eux-mêmes, mais seulement par les phénomènes qu’ils provoquent en nous. Quand on dit que le cœur est brisé par la douleur, il y a des phénomènes réels dans le cœur. Le cœur a été arrêté, si l’impression douloureuse a été trop soudaine, le sang n’arrivant plus au cerveau, la syncope, des crises nerveuses en sont la conséquence. On a donc bien raison, quand il s’agit d’apprendre à quelqu’un une de ces nouvelles terribles qui bouleversent notre âme, de ne la lui faire connaître qu’avec ménagement. Nous savons par nos expériences sur les nerfs du cœur que les excitations graduées émoussent ou épuisent la sensibilité cardiaque en évitant l’arrêt des battemens. Quand on dit qu’on a le cœur gros, après avoir longtemps été dans l’angoisse et avoir éprouvé des émotions pénibles, cela répond encore à des conditions physiologiques particulières du cœur. Les impressions douloureuses prolongées, devenues incapables d’arrêter le cœur, le fatiguent et le lassent, retardent ses battemens, prolongent la diastole, et font éprouver dans la région précordiale un sentiment de plénitude ou de resserrement. Les impressions agréables répondent aussi à des états déterminés du cœur. Quand une femme est surprise par une douce émotion, les paroles qui ont pu la faire naître ont traversé l’esprit comme un éclair, sans s’y arrêter ; le cœur a été atteint immédiatement et avant tout raisonnement et toute réflexion. Le sentiment commence à se manifester après un léger arrêt du cœur, imperceptible pour tout le monde, excepté pour le physiologiste ; le cœur, aiguillonné par l’impression nerveuse, réagit par des palpitations qui le font bondir et battre plus fortement dans la poitrine, en même temps qu’il envoie plus de sang au cerveau, d’où résultent la rougeur du visage et une expression particulière des traits correspondant à un