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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/30

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par son guide, il fut attiré dans une embuscade ; ses compagnons furent tous tués après une lutte acharnée. Lui seul, grâce à son audace et à sa vigueur, parvint à s’échapper, et reprit à la course le chemin de Vitulo. Vers le soir, épuisé de fatigue, affaibli par ses blessures, il tomba demi-mort au bord d’une fontaine vers laquelle il avait dirigé ses pas. Une femme y puisait de l’eau ; sans le connaître, elle s’empresse auprès du guerrier mourant et le rappelle à la vie. Étienne lui apprend son nom et lui raconte son aventure. Par malheur, cette femme était du village même contre lequel Étienne venait de porter les armes. Celui-ci lui demande à boire ; elle lui fait signe qu’elle ne peut atteindre jusqu’à la source, et au moment où l’infortuné se penche pour remplir d’eau l’amphore qu’elle avait remise entre ses mains, elle le tue par derrière d’un coup de poignard. Je me souviens qu’un paysan me montrait auprès de Vitulo l’emplacement de ce mémorable combat. « Les Turcs, me disait-il, étaient sur le point de pénétrer dans la ville, lorsqu’au milieu de la nuit un géant d’une force surhumaine apparut à la tête des Grecs, rétablit le combat et repoussa les Turcs, à la fois écrasés de ses coups et confondus du prodige. » Ne doit-on pas reconnaître dans cette fiction légendaire le chef même qui, par sa force et sa beauté proverbiales comme par ses nombreuses victoires, est resté la figure héroïque et prédominante de la dynastie des Comnènes du Magne[1] ?

Contraints de lutter à la fois contre les Turcs à la frontière et contre leurs rivaux à l’intérieur, les Comnènes, à travers de perpétuelles guerres, maintinrent leur suprématie jusqu’en 1675, époque à laquelle une insurrection formidable, dirigée par le primat Liberaki, força le dernier des protogéros, George, à s’expatrier. Suivi de l’évêque Parthénios, de quelques moines de l’ordre de Saint-Basile et de sept cents hommes, ses proches ou ses partisans, George sortit de Vitulo et mit à la voile pour Gênes, où il fut chaleureusement accueilli. La république génoise concéda aux Stephanopoli Comnène le territoire de Paomia, en Corse.

Le génie colonisateur de l’ancienne Grèce se réveilla comme par enchantement chez les transfuges maïnotes. À peine débarqués en Corse, ces hommes, qui, chez eux, professaient un insurmontable dédain pour la culture du sol, s’y adonnèrent avec tant de zèle et d’intelligence que le territoire de Paomia devint rapidement entre leurs mains un des plus fertiles de cette île. Pendant cinquante

  1. Constantin, son fils, lui succéda et prit le surnom de Stephanopoli, fils d’Étienne. Le surnom ne tarda pas à prendre la place du nom patronymique, suivant un usage fort répandu en Grèce. C’est sous le nom de Stephanopoli que les Comnène sont le plus souvent désignés dans les traditions locales.