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UN PREJUGE
SUR L'ART ROMAIN

Si les premiers siècles de l’histoire romaine sont obscurs, les Romains ont singulièrement contribué à accroître cette obscurité. Les récits de leurs annalistes sont souvent invraisemblables ; des mensonges dictés par un faux orgueil cachent les sources et effacent les traces du passé. L’archéologie a fait surgir du sol des ruines et des preuves irrécusables ; elle a redressé le témoignage des hommes par le témoignage indirect, mais incontestable des monumens. Elle est appelée à prêter à l’histoire un concours chaque jour plus efficace, puisqu’elle pénètre chaque jour, par ses découvertes, au sein de la civilisation étrusque et de la civilisation primitive des Romains.

Un des préjugés historiques les plus enracinés, parce que les auteurs latins l’ont unanimement répandu, s’étend sur une période de cinq cents années et, pour ainsi dire, sur l’art romain tout entier. Comment la postérité n’aurait-elle pas cru un peuple qui s’accusait lui-même en disant : « Pendant cinq siècles, nous avons été sans arts, grossiers, ennemis du beau ; nous avons méprisé les artistes, et nos mains rudes n’ont manié que les armes ou la charrue ? C’est la Grèce qui nous a initiés à des jouissances délicates ; c’est elle qui nous a envoyé ses architectes et ses sculpteurs ; c’est elle qui a rempli Rome de ses dépouilles, qui étaient autant de chefs-d’œuvre : de cette heureuse invasion date l’art romain. » Un poète a immortalisé cette opinion par des vers gravés dans toutes les mémoires :

Græia capta ferum victorem cepit et artes
Intulit agresti Latio.