Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avertissement, Mavromichalis et Mourzinos font le signe de la croix, appellent à grands cris leurs partisans, et se précipitent ensemble contre l’ennemi de la nation. Cette légende, reproduite par une fresque naïve et grossière à l’intérieur de l’oratoire dédié à la Vierge sur ce rocher, repose sans doute sur quelque épisode réel, transformé ainsi par la superstitieuse imagination des habitans de la contrée. Elle peint du reste fidèlement le double caractère qui se révèle à toutes les périodes de l’histoire du Magne, ensanglanté à l’intérieur par les rivalités des familles, sauvé en même temps par le patriotisme qui, à la première apparition des Turcs, fait taire toutes les querelles et réunit pour un moment en un seul faisceau les ennemis les plus acharnés.

Dans cette lutte, dont on ne peut guère suivre les péripéties qu’à l’aide de quelques chroniques populaires, les Mavromichalis l’emportèrent définitivement sur leurs rivaux, et lors du funeste soulèvement excité par les Russes en 1770 c’est un membre de cette famille, Giovanni, qui reçoit ceux-ci à Vitulo, qui traite avec eux en chef de la nation, les détourne par de sages avis d’une entreprise jugée par lui prématurée, et enfin appelle aux armes les Maïnotes après avoir reconnu l’impossibilité de reculer devant les promesses d’Orlof et l’agitation du pays[1]. Une romanesque aventure signale, au dire des Maïnotes, la jeunesse de Giovanni. Les Mavromichalis étant allés fêter la pâque dans un de leurs manoirs dont on ne rencontre plus que de méconnaissables vestiges à quelques lieues au nord de Vitulo, les Mourzinos profitèrent de l’heure du jeûne et de la prière pour escalader les murailles du château et surprendre leurs ennemis désarmés. Ils enlevèrent Giovanni, alors âgé de douze ans, et le livrèrent aux Turcs. Ceux-ci jetèrent l’enfant dans les cachots des Sept-Tours, comptant qu’un jour ou l’autre l’espoir de racheter ce précieux otage rendrait les Mavromichalis plus traitables. Quelques années après cet événement, Iatrakis, capitaine de Bardounia, se rendait à Zanthe avec sa fille, qui était d’une remarquable beauté. Pris en mer par un corsaire maltais, le père fut tué et la jeune fille vendue au sérail. Les Iatrakis possédaient de temps immémorial certaines recettes médicales dont ils se transmettaient le secret de génération en génération[2]. Au moment où la fille des Iatrakis fut

  1. Rulhière, Anarchie de Pologne, t. III, p. 341.
  2. Iatrakis est un diminutif du mot ίατρός, médecin. Il existe aussi dans le Magne une famille Iatros, qui prétend descendre des Médicis, dont le nom d’Iatros est la traduction littérale. Une tradition répandue dans le Magne assure que ce sont les Médicis qui descendent des Iatros, dont ils ont italianisé le nom. Les renseignemens que nous avons reçus de la famille Iatros elle-même fournissent une version plus vraie. Les Iatros de Vitulo possèdent un manuscrit et des titres généalogiques dont nous avons obtenu un extrait suivant lequel, à une époque fort reculée, un Médicis, voyageant en Grèce, aurait été jeté par la tempête dans le port de Vitulo. Il y devint amoureux d’une jeune fille qu’il épousa, et dont il eut un fils. À la suite d’une circonstance ignorée, il fut tué par les Vituliotes ; sa veuve s’enfuit à Florence, emportant son enfant. Au bout de quelques années, elle revint dans le Magne avec son fils. Celui-ci se maria et eut quatre enfans mâles. Trois d’entre eux restèrent à Vitulo, où leurs descendans subsistent encore et jouissent d’une grande considération. Le quatrième, Jean, alla s’établir près de Sparte, dans le village de Lagonika, où l’on voit une vieille église construite par lui, comme l’indique une inscription qui se lit encore à la base d’une colonne du sanctuaire : ’Iωάννης Mέδιχος άνήειρς, élevée par Jean de Médicis. Les Iatros ou Médicis de Lagonika sont aujourd’hui établis dans la ville de Nauplie, où ils exercent une influence considérable, qu’ils doivent à l’estime publique encore plus qu’à leur grande fortune.