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formes, de sécher les marais, de féconder les campagnes, de construire des ponts sur les fleuves les plus impétueux, d’établir des routes qui porteront leurs armées jusqu’aux extrémités de l’Italie, les Romains n’empruntent rien aux Grecs ; ils méritent de leur servir de modèles : ils montrent au monde des modèles que le monde a souvent désespéré d’égaler. Chez tous les peuples, le plus grand éloge qu’on puisse faire d’un monument, l’expression la plus forte pour désigner la grandeur d’un ouvrage, n’est-ce pas de dire qu’il est digne des Romains ?

Ceux qui subordonnent dans leur pensée l’art romain à l’art grec oublient sur quels principes bien différens de construction tous deux s’appuient. L’un n’admet que la plate-bande et les portées horizontales, l’autre préfère le plein-cintre et la voûte ; l’un ne veut que de grands matériaux, dont les joints reposent sur des colonnes ou des piliers écartés, l’autre emploie les plus petits élémens, brique, blocage, pouzzolane, et les jette sur des moules gigantesques ; l’un rase la terre et s’harmonise avec les lignes tranquilles des horizons, l’autre s’élance hardiment vers le ciel, ou résiste, sous le sol, à des fardeaux immenses. Qu’on ne croie pas, comme il arrive souvent, que l’art romain n’ait atteint sa grandeur qu’au siècle d’Auguste, parce qu’il s’était nourri de toute la moelle de l’art grec. C’est sous la république que sont conçues les entreprises les plus hardies, c’est sous la république que les types les plus beaux sont créés. L’empire ne fait qu’étendre et multiplier les exemples que les siècles de liberté lui ont légués.

Ainsi l’on avait construit, bien avant la conquête de la Grèce, ces voûtes souterraines qui conduisaient jusqu’au Tibre les eaux impures, et ces arcs légers qui amenaient comme en triomphe, à travers les plaines et les vallées, l’eau des sources les plus fraîches. Les Grecs, peu épris du bien-être, établis sur des rochers ou des sommets escarpés, n’avaient ni cloaques ni aqueducs. Du moins leurs aqueducs étaient de simples tuyaux de poterie ou des entailles rectangulaires faites dans le roc et couvertes par des tuiles plates comme un caniveau. On voit encore à Athènes, à Syracuse, de ces conduits d’une simplicité primitive. Les Étrusques, il est vrai, avaient enseigné aux Latins à construire sous la terre des émissaires voûtés ; mais combien les débris qu’on trouve en Toscane sont inférieurs à ceux qu’on trouve à Rome ! Du premier coup, les disciples dépassèrent leurs maîtres. Les cloaques, commencées par les rois, continuées, étendues, réparées par la république, font encore l’admiration de la postérité. Nous construisons sous les rues de Paris un réseau d’égouts qui coulent des sommes immenses ; mais ils dureront peu, et l’on n’osera les comparer à ces voûtes en belles pierres