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sont différens, aussi bien que les tendances, les détails, le goût.

Mais si l’on se livre à un examen plus approfondi, on trouve que les principes des deux peuples dans l’art sont également très différens. Les Grecs sont épris des proportions, et à l’aide des proportions ils font paraître grand ce qui est petit ; les Romains sont épris de la grandeur matérielle et cherchent non-seulement l’impression, mais la réalité de la grandeur. Les Grecs s’attachent aux formes exquises et poussent la délicatesse jusqu’à une divine perfection ; les Romains s’attachent à la force, au caractère, à la solidité immuable, à la durée. Pour les premiers, le beau est le but suprême ; pour les seconds, c’est l’utile. Les uns vivent dans le monde idéal, rêvent des types et conversent avec, ces dieux charmans qu’ils créent et rajeunissent sans cesse ; les autres ont l’esprit positif : ils sont aux prises avec le monde réel ; l’état est leur dieu, l’intérêt public leur rêve ; leur imagination s’attache à la terre pour l’étreindre par la conquête ; leur grande poésie, c’est l’ambition. Les Grecs décorent avec amour leur petite ville ou leur sanctuaire le plus célèbre, mais ils ont bientôt pourvu aux besoins ou à la parure d’une patrie qui ne s’étend pas au-delà de l’enceinte des murs ; les Romains se préparaient au gouvernement du monder : ils ornaient leur ville comme une capitale, ils concevaient tout dans les dimensions gigantesques, comme s’ils devaient donner un jour l’hospitalité à l’univers. Pour les Grecs, l’art était une passion, une jouissance de toutes les heures, une partie de la vie ; pour les Romains, l’art n’était qu’un instrument, un moyen de préparer ou d’assurer leur empire, une marque de possession, le sceau imprimé sur les pays conquis ; l’art leur plaisait surtout pour illustrer leurs victoires et pour étonner les hommes.

Ceux qui étudient l’histoire de l’art romain doivent donc être convaincus de son originalité et saisir son caractère. Ramener tout à l’unité est une loi tyrannique qui ne flatte que l’ignorance ; quand il s’agit des productions de l’esprit humain, prouver leur diversité, c’est créer une richesse, et la science aime à s’enrichir. Rome a grandi entre deux maîtresses, l’Étrurie, qui l’a initiée aux arts, et la Grèce, qui l’a éblouie par ses chefs-d’œuvre ; mais son génie personnel, persistant, assimilateur, a choisi les élémens qui convenaient à ses besoins. Tout a été refondu dans ce moule puissant d’où la grandeur romaine est sortie, l’art comme les autres emprunts faits aux civilisations voisines. L’art romain, précisément parce qu’il subordonne l’idéal à l’utile, le beau au grand, les jouissances à la politique, devient un type historique. S’il n’avait point été un type, il n’aurait pu s’imposer plus tard en souverain et couvrir de ses œuvres la surface du monde.


BEULE.