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m’aurait assoupi, et ma vie se serait endormie comme tant d’autres, endormie dans le scepticisme. Heureusement il n’en était pas ainsi ; jamais je n’avais mieux senti l’importance des problèmes que depuis que j’en avais perdu la solution. J’étais incrédule, mais je détestais l’incrédulité ; ce fut là ce qui décida de la direction de ma vie. »

Il résolut donc de consacrer à cette recherche tout le temps qui serait nécessaire, son existence dût-elle s’y employer tout entière. Il lui semblait que la philosophie, la vie même, ne pouvait pas être autre chose que cette recherche. Y réussit-il pleinement et sans réserve ? Trouva-t-il autant qu’il avait perdu ? Put-il remplir ce vaste programme qu’il s’était tracé ? Nous répondrons à cette question quand nous aurons examiné l’ensemble et le développement de ses idées. Nous nous expliquerons mieux alors pourquoi cette belle âme, au milieu des joies d’une science chaque joui, agrandie et d’une considération plus solide que la gloire, resta frappée d’une sorte de mélancolie, qui est une partie essentielle et le caractère même de son talent.

Il y eut déception pour lui dès les premiers pas qu’il fit dans la science. Il avoue lui-même qu’il ne s’était point rendu un compte bien net de l’ordre des questions : que la philosophie embrassait et des exigences de la méthode propre à les résoudre. Son intelligence, « excitée par les besoins et élargie par les enseignemens du christianisme, » avait prêté à la philosophie le grand objet et la portée d’une religion. Il fut quelque peu désappointé quand il se trouva enfermé pendant dix-huit mois dans l’enceinte d’une seule question, celle de l’origine des idées. Il s’y habitua pourtant. Il apprenait à exercer sa raison, « à la conduire, à avoir confiance en elle. » Assurément rien de tout cela ne fut perdu. Bientôt même la vraie portée de cette question, qui n’est pas autre que celle de la certitude et de la raison, se révéla plus clairement à lui. La liaison de cette question avec les autres problèmes se laissa même entrevoir. Il se réconcilia avec les lenteurs du procédé auquel on soumettait sa jeune impatience, et il eut le bon-esprit de trouver profit à se laisser instruire, à laisser venir à lui les idées et l’expérience, convaincu ; par le sentiment éclatant de son ignorance, que l’heure de penser par lui-même n’était pas venue[1].

Son noviciat à l’école étant expiré, il fut appelé à professer a son tour, et ce fût une salutaire nécessité pour lui de se trouver en face d’un cours à faire et de chercher la vérité à ses risques et périls.

  1. Nouveaux Mélanges. De l’Organisation des sciences philosophiques, deuxième partie.