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célébrait encore les saints mystères avec le même recueillement ; ces champs, ces bois, ces fontaines, on allait encore au printemps les bénir ; cette maison, on y élevait encore au jour marqué un autel de fleurs et de feuillage ; ce curé qui m’avait enseigné la foi avait vieilli, mais il était toujours là, croyant toujours, et tout ce que j’aimais, tout ce qui m’entourait avait le même cœur, la même âme, le même espoir dans la foi. Moi seul l’avais perdue, moi seul étais dans la vie sans savoir ni comment ni pourquoi ; moi seul, si savant, ne savais rien ; moi seul étais vide, agité, aveugle, inquiet. Devais-je, pouvais-je demeurer plus longtemps dans cette situation ? » Il se mit à l’œuvre et appliqua presque uniquement, pendant deux années, à cette recherche, l’intensité d’attention et la régularité de procédés qu’il avait acquises.

C’est au retour de ses montagnes, au sortir de cette retraite philosophique, remplie par l’exercice le plus actif de la pensée, qu’il trouvait sa carrière brisée, ses amis dispersés, et qu’il ouvrait dans une chambre modeste ce cours d’où devait dater le premier élan de sa jeune renommée. Quelque temps après cet heureux essai de ses forces, nous le retrouvons au Globe, fondé en 1825 par plusieurs de ses auditeurs et quelques amis du dehors. S’il prit dans ce journal une attitude militante qui peut nous étonner dans une nature si élevée et si méditative, s’il écrivit les articles célèbres Comment les dogmes finissent, la Sorbonne et les Philosophes, qu’on n’oublie pas qu’il y avait guerre déclarée entre le parti libéral et le parti alors au pouvoir, que ce parti tendait de plus en plus à faire du catholicisme une religion d’état, marquant sa funeste influence par la suppression de l’École normale, par l’épuration de l’université, par des mesures inquisitoriales tristement inventées pour faire de l’hypocrisie un moyen d’avancement. La philosophie était traitée en ennemie. Si elle se défendit à outrance, si elle devint même agressive, il faut songer au péril des temps, aux alarmes de l’opinion, aux entraînemens de la polémique, qui s’emporte si facilement au-delà du but. Dans ces morceaux qui obtinrent alors un succès retentissant, les passions de l’heure présente se cachent sous la froide amertume de l’écrivain. Qu’on relise de sang-froid ces deux articles, le premier surtout ; on verra sans peine que ce sont des écrits de circonstance, des armes de combat. Vingt ans plus tard, M. Jouffroy n’aurait pas raconté de ce style ironique et hautain la fin des dogmes. Ne savait-il pas bien lui-même ce qu’il en coûte pour les quitter ? Et devait-il condamner avec une superbe indifférence l’humanité à s’en passer ?

En 1828, un ministre intelligent et libéral, M. de Martignac, ouvrit pour l’université une ère de réparation. Ce fut la grande époque,