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pas se jeter dans des apologies chimériques. Ce qui constitue le caractère positif d’une science, c’est que les connaissances qu’elle a pour objet sont susceptibles d’une démonstration rigoureuse par le raisonnement, ou d’une vérification indéfinie par l’expérience aidée du nombre et de la mesure. La vérité philosophique ne comporte ni une démonstration mathématique ni une vérification rigoureuse. S’il s’agit de faits psychologiques, l’observation les constate, les décompose et met chacun de leurs élémens en lumière ; mais ce n’est que par analogie qu’on parle ici d’analyse et de vérification. L’élément de précision manque absolument, et dès lors les résultats de la science ne sont pas hors de toute contestation possible. Quand j’ai constaté en moi plusieurs phénomènes et démêlé ce qu’il y a de constant dans leur apparente variété, j’ai une loi psychologique, analogue jusqu’à un certain point, par son caractère de régularité, à une loi physique ou chimique ; mais l’analogie s’arrête là. Ai-je la ressource du nombre pour noter les variations du phénomène ? Ai-je la balance et la pesée pour donner au résultat de mon analyse toute la précision désirable ? Puis-je reproduire à mon gré l’expérience devant mes contradicteurs ? Tout ce que je peux faire, c’est de susciter dans l’âme de ceux qui m’écoutent des phénomènes analogues à celui que j’éprouve, et de les amener à reconnaître l’exactitude de mon analyse par le spectacle des faits intérieurs que je provoque en eux. Quelle opération délicate ! Ce n’est plus précisément le même phénomène que j’analyse en eux et en moi ; c’est un phénomène semblable, mais avec combien de nuances ! Que d’influences diverses de tempérament d’esprit ou de climat moral dont je ne puis l’isoler, pour l’examiner dans son intégrité ! Vérification, si l’on veut, mais non susceptible de la dernière rigueur, puisqu’il nous manquera toujours ici le seul élément de comparaison infaillible, le nombre.

S’agit-il, non plus de faits directement observables à constater et à transmettre, mais de questions ultérieures, de problèmes métaphysiques à résoudre, c’est ici que se montre bien clairement la différence de la certitude philosophique avec celle qu’obtiennent les autres sciences. Cette différence a été résumée par une distinction profonde entre la démonstration et la preuve, l’une n’admettant à aucun prix la résistance, forçant la conviction, domptant la raison la plus rebelle, jugeant sans appel l’intelligence qui veut se soustraire à elle, contraignant la liberté, fixe, immuable une fois qu’elle a reçu sa forme, impersonnelle, appartenant de droit à qui l’a comprise autant qu’à celui qui l’a découverte ; l’autre au contraire, la preuve, laissant toujours prise par quelque côté à la dispute, ne jugeant pas sans appel les raisons qui se refusent à l’admettre, n’excluant jamais d’une manière absolue l’erreur ni la