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immédiatement la distinction de la psychologie et de la physiologie, puisque tous les actes qui en sont marqués appartiennent à l’une de ces sciences, et tous ceux qui ne la possèdent pas à l’autre. Il fonde en même temps la preuve la plus solide de la spiritualité. En effet, en même temps que j’ai conscience de cette cause qui est moi, j’ai conscience de tous les actes qui en émanent, et, ces actes ne comprenant qu’un certain nombre et une certaine série de phénomènes, il est démontré par là que les autres, les phénomènes physiologiques, qui n’y sont pas compris, ceux qui vont au bien du corps et composent la vie animale, dérivent d’un autre principe qui coexiste dans l’homme avec le moi, qu’ainsi il y a dualité de principes, de vies et de fins dans la nature humaine, Quel est le principe de la vie physiologique ? Je n’en sais rien, je n’en saurai probablement jamais rien que par de vagues et obscures inductions. Le vulgaire l’appelle corps, les savans l’appelleront force vitale ou animale. Peu importe le nom qu’on lui donne : sa nature est purement hypothétique, voilà ce qu’il importait d’établir. C’est l’obscurité même de ce principe qui le distingue du principe intelligent, de la cause que j’appelle moi. La physiologie n’atteint que des faits, des résultats matériels, et suppose une cause à ces faits : la psychologie au contraire a le privilège de ne supposer rien, elle saisit le moi dans le phénomène, le moi à titre de cause, c’est-à-dire d’être un et simple, toute cause étant par définition essentiellement simple et une. La spiritualité n’est donc pas le résultat d’une induction ; elle est un fait. Nous savons immédiatement ce que c’est que l’esprit : nous n’avons pour cela qu’à nous regarder vivre, penser, vouloir. L’esprit est cause, et son type le plus clair, c’est le moi.

Tel est le dernier mot de ce grand travail d’analyse intérieure et de dialectique pénétrante. Ce fut une belle journée pour la philosophie que celle où M. Jouffroy vint lire à l’Académie des sciences morales ce remarquable mémoire en présence du plus redoutable adversaire de la science psychologique et de la spiritualité, Broussais : non pas que la démonstration exposée dans ce mémoire termine à tout jamais le débat, séculaire entre le matérialisme et le spiritualisme. Espérer un succès pareil, ce serait prouver que l’on ne connaît ni la nature de la vérité philosophique, ni celle de la raison humaine. M. Jouffroy lui-même, je le pense, n’osait pas l’espérer, même dans le premier enthousiasme de sa découverte. Aujourd’hui, à vingt-cinq ans de distance, nous savons à quoi nous en tenir sur ces prétendues victoires qui sont toujours à recommencer. Plus d’un spiritualiste même aurait sans doute quelques objections à présenter sur cet argument, qui suppose résolue une des questions les plus controversées dans la science contemporaine, là question du vitalisme et de l’animisme. Il est trop évident que, s’il était