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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/383

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qu’elle fut réveillée par le bruit d’une avalanche qui tombait le long de la pente qu’elle devait traverser le lendemain. Au point du jour, tout le monde était sur pied ; le thermomètre marquait 4 degrés au-dessous de zéro. Gagnant l’extrémité du Grand-Plateau, de Saussure monta par un talus rapide en se dirigeant vers l’est, et, s’élevant au-dessus des Rochers-Rouges, il découvrit les montagnes du Piémont, passa près des Petits-Mulets, qui percent la neige à 4,680 mètres au-dessus de la mer, s’y reposa quelques instans, puis, montant à pas lents, s’arrêtant tous les quinze ou seize pas, il arriva à onze heures à la cime et foula la neige avec une sorte de colère satisfaite, expression de la longue lutte qu’il avait soutenue. La cime avait la forme d’une arête allongée en forme de dos d’âne, dirigée de l’est à l’ouest, et descendant à ses deux extrémités sous des angles de 28 à 30 degrés : elle était très étroite, presque tranchante au sommet, à tel point que deux personnes ne pouvaient y marcher de front ; mais elle s’élargissait et s’arrondissait en descendant du côté de l’est, et prenait du côté de l’ouest la forme d’un avant-toit saillant au nord.

Pendant toute son ascension à partir du Grand-Plateau, de Saussure avait remarqué que les roches visibles au-dessus de la neige étaient toutes de nature cristalline, quoique plus ou moins divisées en lames parallèles : elles appartiennent toutes à la variété de granité que les géologues actuels appellent protogine, et dans laquelle la chlorite remplace le mica. Dominant les aiguilles dont il n’avait jusqu’ici visité que le pied, il constata qu’elles se composent toutes de grands feuillets verticaux ; il reconnut que ces aiguilles ont une structure uniforme, tandis que les montagnes à couches horizontales, telles que le Buet, sont composées à leur sommet d’assises de terrains secondaires. Jetant un coup d’œil général sur les montagnes primitives qui l’entouraient, il vit qu’elles ne forment pas des chaînes, mais paraissent distribuées en groupes de forme variée détachés les uns des autres. Le temps pressait. De Saussure se détourna de ce grand spectacle pour consulter ses instrumens météorologiques. Son premier soin fut de suspendre son baromètre et ses thermomètres à un mètre au-dessus de la cime. Le baromètre marquait 434mm,38, et la température de l’air était à 2°,9 au-dessous de zéro. Deux savans observaient le baromètre à la même heure, l’un à Genève, c’était Sénebier, qui a tant contribué aux progrès de la physiologie végétale, l’autre à Chamounix, c’était le fils même de Saussure, Théodore, alors âgé de vingt ans, et qui depuis a illustré son nom par ses travaux en chimie. De Saussure, calculant la hauteur du Mont-Blanc d’après ces observations, avec la formule de Deluc modifiée par Schuckburgh, trouva 4,824 mètres