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MOZART
ET
LA FLUTE ENCHANTEE

Si nos sentimens, notre cœur, se pouvaient prêter aux mêmes transformations que notre intelligence, s’ils étaient susceptibles de la même perfectibilité, l’homme aurait depuis longtemps changé de nature. La source des idées est inépuisable, non point celle des sentimens. Le musicien pas plus que le poète ne saurait donc, quoi qu’il fasse, exprimer jamais qu’une somme restreinte de sentimens et de sensations ; mais si la somme est définie, le sentiment en soi est infini, et de même qu’il n’existe pas deux hommes qui sur tous les points se ressemblent, qu’on ne trouve pas deux feuilles d’arbre exactement identiques, de même chacun de nous a sa façon d’être affecté de chacun de ces sentimens. Là, pour un artiste, est la vraie, l’éternelle source de toute originalité, car s’il y a mille manières d’éprouver un sentiment, il y a mille manières de le rendre, il y a mille manières d’être neuf, d’être inspiré, Qui songe pourtant à se poser aujourd’hui de tels principes ? Méditer un sujet, le retourner sous toutes ses faces, sentir sa musique avant de l’écrire, c’était bon, tout cela, pour les maîtres ! Ils créaient, et nous voulons faire. Or, comme pour tirer de nos ouvrages renommée et profit il nous faut commencer par agir sur le public, cette originalité qu’il serait trop long et peut-être impossible d’aller puiser à sa vraie source, nous la demandons à de systématiques combinaisons. Inhabiles à trouver l’idée, nous ne cherchons plus le nouveau que dans la forme, que dis-je, la forme ? dans l’absolue négation de la forme.