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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/420

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tout à l’heure. — Voyons… — Mais puisque je te dis que ce n’est pas encore terminé ! — Voyons toujours) ce doit être du propre ! — Votre père prit le cahier et me le montra. Je n’aperçus d’abord qu’un ramassis de notes jetées à la diable sur une page toute maculée de taches d’encre. Le petit garnement plongeait sans y faire attention sa plume jusqu’au fond de l’écritoire, et chaque fois qu’un gros pâté en tombait, l’essuyait du plat de sa main, continuant d’écrire sans s’interrompre, Nous commençâmes par rire tous les deux du beau galimatias. Cependant tout à coup votre père s’arrêta et devint grave. Il lisait, se rendait compte de ces notes, de cette composition, car c’en était une, et bientôt je le vis s’émouvoir et fondre en larmes. »

Ces deux bourgeois qui sortent de l’office dans leurs habits du dimanche, ce bambin de quatre ans qui, l’auréole du génie au front, travaille et compose à l’âge où ses pareils épèlent à peine l’alphabet, cette révélation, ce pathétique, ne dirait-on pas une légende ? La vie de Mozart est pleine d’histoires de ce genre, Parler de vocation cette fois serait trop peu. À chaque instant, la prédestination se manifeste ; peinte avec le naïf mysticisme qu’elle comporte, l’anecdote que raconte cette lettre aurait le charme d’une enluminure du moyen âge. Et combien d’autres viendraient à la suite dans l’illustration de cette biographie, qui, du commencement à la fin, je le répète, n’est qu’un doux, tendre et sublime martyrologe !


I

Schikaneder travaillait à sa pièce avec enthousiasme, distribuant les scènes, les morceaux, combinant les situations, et au besoin, pour aller plus vite, donnant à écrire le dialogue au souffleur de son théâtre. Acteur lui-même assez goûté du public, possédant, à défaut de voix, un certain accent bouffe, il voulait être de la fête, et se ménageait con amore, le rôle de Papageno, espèce de jeune faune engagé à la suite d’un prince aventureux. Du reste, le plus clair de l’invention du librettiste en cette affaire fut de vêtir d’un costume de plumes d’oiseaux le fameux Kasperl de la farce viennoise, une manière de Pierrot naïf, gourmand et libertin. Pour ce personnage, destiné à compléter par le côté physique, sensuel, la nature idéale du demi-dieu Tamino, Schikaneder, qui se mêlait de tout, même de musique en présence de Mozart, se composa sur ses propres vers plusieurs mélodies ad usum delphini, et Mozart, de ces embryons, fit des merveilles. On était au printemps. Mozart, pour jouir de la belle nature et se soustraire aux tribulations d’un