Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fort ; il n’y voyait que machines de guerre contre son droit divin, complots révolutionnaires. C’était assez pour émouvoir le public en faveur des francs-maçons, et pour que de son côté l’ordre s’évertuât à dissiper les préventions répandues contre lui par ce qu’on appellerait aujourd’hui le parti clérical. « Il court des bruits étranges sur ces prêtres, sur leur faux esprit ; on se dit à l’oreille que quiconque s’affilie à leur ordre est aussitôt damné d’âme et de corps ! » Ainsi, cherchant à le faire jaser, parlent à Papageno les trois dames. Même évidence d’allusion dans une réponse de Tamino à une demande de ce genre : « propos soufflés à des commères par des fourbes ! » Comment Mozart fût amené à se mêler à cette discussion, comment son génie et ses convictions les plus secrètes l’y invitaient, nous le savons maintenant, et nous comprenons aussi quels accens devait évoquer un pareil génie dans ces antiques sanctuaires d’Isis, dont il franchissait le seuil en initié des temps nouveaux. Dès le finale du premier acte, on se sent transporté dans un monde épuré, supérieur. À l’appareil théâtral, décoratif, au mouvement d’une féerie succède le calme religieux du temple, la rêverie, abstraite en contemplation devant l’universelle harmonie des êtres et des choses, la méditation du sage promenant quelque sentence auguste à travers ces salles sacrées dont le bruit de ses pas réveille seul les muettes profondeurs : in diesen heiligen Hallen. Partout allégorie et symbolisme : ces trois adultes, ces éphèbes, sont des génies, les génies de la vertu commis à la garde du jeune prince qu’ils admonestent, édifient. » Et le prince lui-même est un type de l’homme tendant vers le bien, la perfection, — y arrivant à travers les combats, les épreuves, et recevant enfin sa récompense dans la bien-aimée Pamina. Maintenant qu’au théâtre tout ce mysticisme puisse ennuyer, que toutes ces épreuves ne présentent qu’une froide et monotone allégorie, je ne le conteste point ; mais j’en renvoie la faute, à qui de droit, et je passe outre sans me préoccuper davantage des bévues du librettiste ou des réclamations de cette partie du public, qui ne veut qu’être amusée. Si vous me dites qu’il y a des spectacles plus divertissans, je le croirai ; la psychologie ne plaît généralement pas à tout le monde, à moins qu’il ne s’agisse de quelque roman libertin. De même il y a des tableaux, des ouvrages plus amusans que la Transfiguration de Raphaël, que les dialogues de Platon, ce qui n’empêche pas le Phédon, lu à son heure, d’avoir son prix, et la Transfiguration de mériter quelques égards.

Ce n’est point le hasard qui fait que je cite ces deux chefs d’œuvre à propos de la Flûte enchantée. Un jour, M. Sainte-Beuve imagina d’écrire au bas d’un sonnet, en manière d’avis au lecteur : « Il y