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d’ennemis à combattre. Le Maïnote, toujours en armes, retranché dans ses inabordables solitudes, derrière ses pyrgos fortifiés, préférerait de nouvelles guerres à la paix, où il se consume, et dont la Grèce civilisée n’a pas encore tenté sérieusement de lui faire apprécier les bienfaits. Peu s’en fallut que la dernière révolution ne procurât aux Maïnotes l’occasion d’entrer en campagne. Trois cents hommes, sous les ordres du colonel Pétropoulakos, se dirigèrent vers la Messénie pour y opérer une réaction en faveur de l’autorité royale ; mais la fuite précipitée du roi Othon ne leur permit pas de pousser plus loin l’aventure. Si le Magne faillit être la Vendée de la Grèce, il fut assurément inspiré plutôt par sa passion pour la guerre que par son attachement à la dynastie déchue. Il est temps que la Grèce accorde à cette province l’intérêt tout spécial dont elle est digne par les glorieux services qu’elle a rendus à la nationalité hellénique ; c’est en quelque sorte une dette anciennement contractée que la nation doit acquitter sans retard.

Fonder des écoles, favoriser l’agriculture, sillonner le pays de routes et de faciles voies de communication, pour l’arracher à son isolement par la circulation des individus, qui entraînera vite celle des idées ; le doter d’une administration et d’une magistrature autant que possible indigènes, en recrutant ce personnel parmi les seigneurs ou capitaines autour desquels le peuple se groupe encore, et qui, partisans aujourd’hui de l’anarchie, favorable à leur influence, seraient, une fois investis de la confiance du gouvernement, les défenseurs les plus intéressés et les plus actifs de l’ordre et du progrès : voilà les moyens par lesquels la Grèce doit s’attacher à civiliser cette province, dont elle peut tirer de nombreux éléments de prospérité. Et d’abord, la population du Magne, douée d’une vigueur et d’une énergie exceptionnelles, est appelée à devenir une pépinière de soldats et de marins incomparables le jour où elle saura comprendre la liberté sous d’autres formes que celles du brigandage et de la piraterie, Les écumeurs de mer qui sortent des côtes inabordables du Magne fourniront alors à la Grèce les plus hardis et les plus habiles navigateurs de sa marine marchande, et formeront le noyau d’une redoutable marine militaire ; l’armée recrutera à l’intérieur des hommes sobres, déterminés, habitués à toutes les privations et à toutes les fatigues. Ce pays d’ailleurs, malgré son âpre physionomie, est loin d’être une terre misérable et infertile : le figuier, l’olivier, le cotonnier même, abondent dans le Haut-Magne, et ne réclament qu’une culture plus intelligente. La production de la soie surtout doit intéresser le gouvernement. Le sol du Magne, où les céréales ne viennent pas, nourrit en revanche des mûriers d’une fécondité merveilleuse. Tempéré par les brises