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tout ce que pourraient exiger ce temps, ce lieu, ces circonstances. Acheminé de bonne heure, par ses goûts, ses talens naturels et ses premières rencontres, vers les fonctions publiques dont la carrière s’était facilement ouverte devant lui, protégé par le dernier des Stuarts, le cardinal d’York, et par les tantes de Louis XVI réfugiées à Rome, aimé de Pie VI, que l’orage devait emporter aussi, ayant de la sorte frayé sa route parmi ces nobles débris des trônes, mais trop clairvoyant pour ne pas comprendre que les ruines ne se relèvent jamais entières, et qu’il faut savoir profiter des révolutions mêmes qu’on étouffe, il pensait que de notables réformes étaient la condition essentielle de toute restauration efficace. Intelligent de ce qui convenait à l’antique cité sacerdotale, d’où la secte et la dispute sont bannies, où il faut vivre dans la doctrine sans en remuer le fond, où le mystère de l’existence s’accomplit régulièrement comme un rite, où les œuvres de l’art et les souvenirs de l’antiquité sont presque les seules curiosités permises à l’esprit, parce que seules elles le rendent impassible aux agitations contemporaines, il réveillait la tradition des belles études, ordonnait des fouilles, réparait le Colisée et le Panthéon d’Agrippa, faisait déblayer les arcs de Septime Sévère et de Constantin, protégeait les artistes illustres. Il avait été, dans sa jeunesse, l’ami de Cimarosa ; il le fut plus tard de Canova et de Thorwaldsen ; il séduisait par sa conversation. Enfin, et de sa personne et par sa politique, il s’efforçait de ramener Rome à ce calme d’autrefois et à ce demi-sommeil où la pensée, à l’abri du doute, se berce plutôt qu’elle ne s’exerce : existence pleine de plaisirs délicats qui avait fait au siècle précédent l’enchantement de beaucoup d’excellens esprits attirés de tous les points de l’Europe, dangereuse pourtant par sa quiétude même en ce qu’elle s’isole du mouvement général, s’attarde quand tout marche, et se dérobe trop aux conditions de lutte et de recherche qui sont le tourment et la force de l’esprit humain. Comme diplomate, il excellait par un esprit vif et contenu, flexible et persistant, par une ingénieuse fertilité en raisons solides ou spécieuses et en expédiens conciliatoires. Cardinal et non prêtre, il avait de l’esprit laïque ce qu’il en faut pour les facilités du monde, avec une élégance de mœurs simples qui le rendait éminemment propre aux négociations du saint-siège, alors si délicates et si périlleuses. Dans ses mémoires, écrits rapidement et à la dérobée en 1811, pendant son internement à Reims, tout cet esprit et tout ce caractère transpirent ; la sincérité, la simplicité et l’ordre y font ensemble une lumière toujours égale ; parfois le récit s’anime en tableau, et alors les personnages y prennent une vie, une attitude, une physionomie frappantes de vérité historique. Est-il possible par exemple de