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tous très opposés à cette fausse doctrine. Saint-Sulpice, qui est le centre des bonnes études théologiques en France, l’a toujours combattue, et récemment encore nous entendions à Notre-Dame un prédicateur éclairé, le père Hyacinthe, défendre fortement et noblement la cause de la raison et de la philosophie, j’ajouterai même de la société moderne, contre l’école traditionaliste. Rome elle-même, dans quatre propositions célèbres promulguées il y a une dizaine d’années, a expressément condamné l’opinion qui conteste à la raison le pouvoir d’établir l’existence de Dieu et de l’âme, les grandes vérités de la morale, enfin les principaux articles de la théologie naturelle. Comme la philosophie n’a pas toujours le bonheur d’être d’accord avec Rome, c’est un devoir pour elle de reconnaître qu’en cette circonstance Rome a montré autant de sagesse que de lumières, et il serait fort à désirer, dans l’intérêt de la paix et de la fraternité, qu’il en fût toujours ainsi.

Lorsque la théologie combat la philosophie et veut la détruire parmi les hommes, elle entreprend l’impossible, car il faudrait pour cela qu’elle supprimât un instinct irrésistible de la nature humaine, le besoin d’examiner et de comprendre. Le théologien comprend médiocrement la force d’un tel besoin, parce qu’en général il ne l’éprouve pas (autrement il est un philosophe) et ne cherche guère à le satisfaire. La théologie répond pour sa part à un tout autre besoin de l’âme, le besoin de croire et de systématiser ses croyances. C’est par l’ordre et l’enchaînement des doctrines que la théologie, j’entends la théologie catholique, a un côté scientifique ; mais elle ne fait qu’ordonner et enchaîner, elle ne cherche pas, si ce n’est peut-être dans la controverse, où le besoin de se défendre la force à découvrir des armes nouvelles : par là elle commence à ressembler à la philosophie, sans jamais se confondre avec elle tant qu’elle persiste à s’appuyer sur une doctrine consacrée. La philosophie au contraire est fille de l’examen, elle ne veut rien affirmer qu’elle n’ait trouvé par l’analyse et la réflexion. Ses dogmes sont ses conquêtes et non pas ses chaînes. Elle va donc à la découverte, et c’est pourquoi elle va souvent à l’aventure, c’est pourquoi aussi chaque philosophe va de son côté, persuadé qu’il a trouvé le vrai chemin et que tous les autres se trompent. Cette recherche libre et personnelle est et sera toujours la tentation et l’appât du philosophe. Le théologien, habitué à la sécurité que donne une foi bien établie, comprend difficilement qu’on puisse prendre plaisir à vivre au sein des mouvemens et des oscillations du sol philosophique. Il s’en faut en effet que ce soit là un plaisir sans mélange, et je ne le conseillerais pas volontiers à ceux qui n’aiment que la paix ; mais penser par soi-même et n’obéir qu’à la lumière de sa raison, c’est une des