riches comme un privilège, ou plutôt elle empêchait que ce ne fût véritablement une profession. Je crois seulement que cette loi fut toujours très imparfaitement observée. Comme elle n’avait pas pu tout prévoir, il ne lui était guère possible d’empêcher la reconnaissance des cliens de trouver quelque forme ingénieuse qui échappât à sa sévérité. S’ils étaient bien déterminés à payer de quelque manière les services qu’on leur avait rendus, il me semble difficile que la loi pût toujours les en empêcher. Au temps de Cicéron, on ne se faisait pas faute de la violer ouvertement. Verrès disait à ses amis qu’il avait fait trois parts de l’argent qu’il rapportait de Sicile ; la plus considérable était pour corrompre ses juges, l’autre pour payer ses avocats, et il se contentait de la troisième. Cicéron, qui à cette occasion se moquait de l’avocat de Verrès, Hortensius, et du sphynx qu’il avait reçu en à-compte, se gardait bien de l’imiter. Son frère affirme qu’au moment où il briguait le consulat, il n’avait jamais rien exigé de personne. Cependant, quelques scrupules qu’on lui suppose, il est bien difficile d’admettre qu’il n’ait jamais profité de la bonne volonté de ses cliens. Sans doute il refusa les présens que les Siciliens voulaient lui faire quand il les eut vengés de Verrès : peut-être n’eût-il pas été prudent de les accepter après une cause si éclatante, qui avait attiré sur lui tous les regards, et lui avait fait de puissans ennemis ; mais quelques années après je vois qu’il se laisse tenter par le cadeau que lui fait son ami Papirius Pœtus, pour lequel il vient de plaider. C’étaient de beaux livres grecs et latins, et Cicéron n’aimait rien tant que ces livres. Je vois aussi que, lorsqu’il avait besoin d’argent, ce qui lui arrivait bien quelquefois, il s’adressait de préférence aux gens riches qu’il avait défendus. C’étaient pour lui des créanciers moins rigoureux et plus patient que les autres, et il était naturel qu’il profitât de leur crédit après les avoir aidés de sa parole. Il nous dit lui-même qu’il acheta la maison de Crassus avec l’argent de ses amis. Parmi eux, P. Sylla, pour lequel il venait de plaider, lui prêta à lui seul 2 millions de sesterces (400,000 francs). Attaqué pour ce fait dans le sénat, il s’en tira avec une plaisanterie, ce qui prouve que la loi Cincia n’était plus très respectée, et que ceux qui la violaient n’avaient pas grand’peur d’être poursuivis. Il est donc bien possible que ces grands seigneurs dont il avait sauvé l’honneur ou la fortune, que ces villes ou ces provinces qu’il avait protégées contre des gouverneurs avides, que ces princes étrangers dont il défendait les intérêts dans le sénat, surtout que ces riches compagnies de publicains par lesquelles passait tout l’argent que l’univers envoyait à Rome, et qu’il servait avec tant de dévouement de son crédit ou de sa parole, aient souvent cherché et quelquefois trouvé l’occasion de lui témoigner leur reconnaissance. Cette
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