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le veux bien, diminuez leur crédit et leur puissance, combattez leur esprit de domination, défendez contre eux l’indépendance de la société civile et de la conscience humaine ; ce n’est pas cependant une raison absolument suffisante, littérairement parlant, pour saisir l’occasion de faire un roman prolixe et ennuyeux. Un plaidoyer doucereusement violent mêlé d’aventures équivoques. C’est là, il faut bien l’avouer, ce qui distingue le plus manifestement : le Jésuite. L’auteur, on s’en souvient peut-être, n’en est pas à son coup d’essai ; il a déjà fait preuve d’une inquiétante fécondité et menace de créer toute une littérature. Il a commencé par le Maudit, puis il a écrit la Religieuse ; il fait aujourd’hui le Jésuite, et il est de nouveau à l’œuvre, promettant encore le Moine. Pourvu que son imagination en travail ne fouille pas le monde religieux tout entier et qu’il n’aille pas raconter l’histoire de chaque ordre monastique en particulier, des dominicains après les jésuites, des servîtes et des capucins ! Qui donc a pu contester à l’auteur le droit de prendre ce titre d’abbé qu’il revendique si vivement dans sa préface et qu’il se donne à la première page de ses livres ? La méprise était sans doute volontaire ou elle serait bien étrange, par cette raison décisive qu’un simple laïque, outre son ignorance de certains détails, ne tiendrait pas évidemment à ce régime. Il n’y a qu’un prêtre quelque peu libre qui puisse se complaire obstinément et indéfiniment, durant dix volumes, dans cette atmosphère de divulgations, de confessions, de manèges clandestins, de luttes de castes, et qui puisse concevoir la bizarre pensée de mettre en roman toute la hiérarchie ecclésiastique. Il faut vraiment ne douter de rien et avoir cette fixité de préoccupation d’un homme qui a vécu d’une certaine vie, qui s’est accoutumé à tout concentrer dans un certain monde de lois et de mœurs spéciales.

L’auteur du Jésuite, je le sais bien, a de plus hautes prétentions. Le roman n’est pour lui qu’une forme plus accessible et plus populaire. Au fond, il reste convaincu qu’il est prédestiné à sauver l’humanité moderne en travail, que ses œuvres sont « comme le levain qui gonfle la pâte destinée à devenir le pain substantiel, » qu’elles sont « l’expression vivante de ce que pensent les masses, de ce qu’elles espèrent. » Il est venu, et les masses ont compris ! Volontiers il parle de son « apostolat pacifique, » de sa « grande mission, » qui est d’expliquer l’énigme religieuse en face de l’église officielle. « Telles est ma tâche au sein du XIXe siècle, » dit-il avec une candeur effrayante. L’ambition n’est point assurément médiocre, et s’il ne fallait, que des livres comme le Jésuite ou comme le Maudit pour débrouiller l’énigme religieuse de notre temps ; nous pourrions secouer nos anxiétés et ouvrir nos esprits à une confiance sereine. En réalité, quelque bien intentionné que soit l’auteur, et quelque désir qu’il ait d’allier tous les tons, ses livres ne sont ni des actes des apôtres ni des histoires, ni des pamphlets, ni des romans, mais ils touchent à tous ces genres par certains côtés, et de la combinaison de tous ces élémens il résulte