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qui soit désavantageux à cette famille. » A l’étonnement universel, ce fut cette Polonaise, qui six mois auparavant aurait accepté en mariage un simple gentilhomme français, que la volonté de la marquise de Prie fit monter tout à coup sur le plus beau des trônes du monde.

La nouvelle reine n’était pas précisément jolie, mais elle avait une grâce, une douceur, une aménité qui séduisaient tous les cœurs sur son passage. « Il n’est rien que ne fassent les bons Français pour me distraire, écrivait-elle à son père Stanislas en signant de son petit nom polonais, Maruchna. On me dit les plus belles choses du monde, mais personne ne me dit que vous soyez près de moi. Peut-être me le dira-t-on bientôt, car je voyage dans le royaume des fées, et je suis véritablement sous leur empire magique. Je subis à chaque instant des métamorphoses plus brillantes les unes que les autres : tantôt je suis plus belle que les Grâces, tantôt je suis de la famille des neuf sœurs ; ici j’ai les vertus d’un ange, là ma vie fait les bienheureux ; hier j’étais la merveille du monde, aujourd’hui je suis l’astre aux bénignes influences. Chacun fait de son mieux pour me diviniser, et sans doute que demain je serai placée au-dessus des immortels. Pour faire cesser le prestige, je mets la main sur la tête, et aussitôt je retrouve celle que vous aimez et qui vous aime bien tendrement. »

Marie Leczinska ne se laissait pas étourdir par ce tumulte d’hommages et d’adulations. Elle n’oubliait ni sa famille ni sa patrie. En 1733, lorsque le roi de Pologne Auguste II vint à mourir, elle sentit battre son cœur de Polonaise. Elle fit des vœux ardens pour que son père, qui représentait l’élément national contre les envahissemens saxons, pût revendiquer utilement la couronne. En France, le mouvement de l’opinion, si sympathique à Marie Leczinska, fut irrésistible. La reine défendit avec une vivacité qui ne lui était pas habituelle une cause qu’elle considérait comme sacrée. Stanislas partit pour la Pologne. Sa fille lut à haute voix dans le salon de Fontainebleau la proclamation par laquelle le primat annonçait le nouvel avènement de ce prince au trône des Jagellons. Peu de jours après, elle attachait de sa propre main la cocarde blanche au chapeau du maréchal de Villars, et le vieux guerrier, qui allait prendre le commandement de l’armée des Alpes, s’écriait avec enthousiasme : « Dites au roi qu’il n’a plus qu’à disposer de l’Italie, je m’en vais la lui conquérir. » On sait qu’à la conclusion de la paix Stanislas obtint comme dédommagement le duché de Lorraine et de Bar. « Croyez, madame, dit alors le cardinal Fleury à Marie Leczinska, que la jouissance du duché sera bien préférable au trône de Pologne. » La reine, qui trouvait que la guerre n’avait pas été conduite avec assez de vigueur à cause des économies exagérées du vieux ministre, lui répondit, non sans une tristesse malicieuse : « Oui, cardinal, à peu près comme un tapis de gazon remplace une cascade de marbre. » — « Le vieillard, ajoute Mme d’Armaillé en racontant cette anecdote, comprit avec amertume l’allusion que faisait la reine à un dernier acte de parcimonie