Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de maître qui imprimaient la terreur aux plus audacieux et déconcertaient ceux qui se croyaient le plus avant dans sa confiance. C’est que ce monarque, si engourdi par les plaisirs, si éloigné de tout noble et généreux effort, avait par intervalles des velléités de gloire et de grandeur. Il s’était réservé, malgré son indolence, un minutieux contrôle de toutes les affaires diplomatiques, au moyen d’une correspondance secrète avec les ambassadeurs, et, chose extraordinaire, les ministres l’ignorèrent complètement pendant plus de vingt années. Son règne eut des jours de splendeur, et au lendemain de Fontenoy le prestige du trône rappelait l’éclat des beaux jours de Louis XIV. Quand il retombait de ces sommets dans les défaillances de son âme, Louis XV était saisi d’une vague inquiétude, d’une tristesse indicible. Les remords, qui existaient à l’état latent au fond de son cœur, les scrupules religieux qui lui restaient encore malgré tous ses désordres, le portaient à se fuir lui-même, à craindre ses propres pensées, à chercher dans un exercice violent la distraction, l’oubli de lui-même. Au milieu des fêtes continuelles, il était occupé d’idées sombres. « Le tempérament du roi, dit le duc de Luynes, n’est ni vif, ni gai ; il y aurait même plutôt de l’atrabilaire… Le détail des maladies, des opérations, assez souvent de ce qui regarde l’anatomie, les questions sur les lieux où l’on compte se faire enterrer, sont malheureusement ses conversations ordinaires. »

Mme de Pompadour, malgré sa toute-puissance, n’était guère plus heureuse que son royal amant. Elle voyait à ses pieds ministres, maréchaux, cardinaux et grandes dames. Son frère, Charles Poisson, avait été fait, comme par enchantement, marquis de Marigny, et pourvu d’une place autrefois créée pour Colbert. Elle avait pour femme de chambre une femme de qualité, Mme du Hausset, pour écuyer un chevalier d’Hénin, de la famille des princes de Chimay, qui attendait sa sortie dans les antichambres, portait mon mantelet, suivait à pied sa chaise auprès de la portière. Son luxe était plus que royal. Elle dépensait 500,000 livres pour sa table. Son crédit surpassait encore son éclat. Elle gouvernait la France du fond de son boudoir, et cependant elle était inquiète et malheureuse. « Je vous plains bien, lui disait Mme du Hausset, je vous plains, tandis que tout le monde vous envie. » C’est qu’il manquait à la favorite le premier des biens, la paix du cœur. Elle était comme gênée par sa grandeur factice, et savait distinguer au fond des hommages apparens souvent la haine, toujours le mépris. Au dire de Duclos, le duc de Richelieu, qui avait été le premier à pressentir et à saluer sa fortune, cherchait, par des propos secrets, « à la faire regarder du roi sur le pied d’une bourgeoise déplacée, d’une galanterie de passage, d’un simple amusement qui n’était pas fait pour subsister dignement à la cour. » Charger de distraire le monarque le plus ennuyé, le plus blasé de la terre, obligée, pour rester en faveur de s’abaisser au rôle de surintendant des plaisirs du maître, de confidente intime des honteux mystères du Parc-aux-Cerfs, elle savait que le cri public l’accusait de la mauvaise