On trouve, parmi ses nombreux débiteurs, des gens de toute condition et de toute fortune, depuis Pompée jusqu’à Hermogène, qui a bien l’air d’être un simple affranchi. Malheureusement, tout compte fait, ses créanciers sont bien plus nombreux encore ; malgré l’exemple et les conseils d’Atticus, il s’entendait mal à gouverner sa fortune. Il avait sans cesse des caprices coûteux. Il lui fallait à tout prix des statues et des tableaux pour orner ses galeries et leur donner l’air des gymnases de la Grèce. Il se ruinait dans ses maisons de campagne pour les embellir. Généreux à contre-temps, on le voit prêter aux autres au moment où il est contraint d’emprunter pour lui-même. C’est toujours lorsqu’il est le plus endetté qu’il a le plus envie d’acheter quelque villa nouvelle. Il n’hésite pas alors à s’adresser à tous les banquiers de Rome ; il va trouver Considius, Axius, Vectenus, Vestorius ; il essaierait même d’attendrir Cæcums, l’oncle de son ami Atticus, s’il ne savait que ses plus proches parens n’en peuvent rien tirer à moins de lui donner 1 pour 100 par mois d’intérêt. Du reste il supporte gaîment sa détresse. Le sage Atticus a beau lui dire qu’il est honteux d’avoir des dettes ; comme il partage cette honte avec bien des gens, elle lui semble légère, et il est le premier à en plaisanter. « Sachez, dit-il à un de ses amis, que je suis tellement endetté que j’entrerais volontiers dans quelque conjuration, si l’on voulait m’y recevoir ; mais, depuis que j’ai puni celle de Catilina, je n’inspire plus de confiance aux autres. » Et quand arrive le 1er du mois, jour des échéances, il se contente de s’enfermer à Tusculum et laisse Éros ou Tiron disputer avec les créanciers.
Ces embarras et ces misères, dont sa correspondance est pleine, nous font songer presque malgré nous à certains passages de ses œuvres philosophiques qui paraissent assez surprenans, lorsqu’on les compare à la façon dont il vivait, et qu’on pourrait facilement tourner contre lui. Est-ce bien cet insouciant et ce prodigue, toujours prêt à dépenser sans compter, qui s’écriait un jour avec un accent de conviction dont nous sommes émus : « Dieux immortels, quand donc les hommes comprendront-ils quels trésors on trouve dans l’économie ! » Comment cet ardent amateur d’objets d’art, cet ami passionné de la magnificence et du luxe, a-t-il osé traiter de fous les gens qui aiment trop les statues et les tableaux, ou qui se construisent des maisons magnifiques ? Le voilà condamné par lui-même, et je n’ai pas envie de l’absoudre tout à fait ; mais, au moment de porter sur lui un jugement sévère, rappelons-nous en quel temps il vivait, et songeons à ses contemporains. Je ne veux pas le comparer aux plus méchans, son triomphe serait trop facile ; mais entre ceux qu’on regarde comme les plus honnêtes il tient encore