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a prétendu abriter derrière une sorte de forteresse le jeu libre de ses institutions municipales[1].Cependant, la passion d’individualité une fois satisfaite, chaque village, sentant quelle serait sa faiblesse le jour où un puissant ennemi du dehors le viendrait attaquer, a dû se chercher des alliés ; les plus naturels étaient les plus voisins, et une alliance fondée quelquefois sur d’antiques liens de famille, mais commandée toujours par la configuration du sol, a réuni un certain nombre de dechras en un groupe qui est l’arch, c’est-à-dire la tribu[2]. Par une logique extension de ce principe, les tribus les plus voisines se sont respectivement associées pour former des ligues nommées kebila[3]. C’est la réunion de toutes les kebilas qui compose la nation kabyle, et l’étymologie du nom de kabyle ou kebaïle, qui dérive directement du mot kebila, dit d’elle-même que le peuple kabyle est le peuple de la fédération.

Ainsi l’ensemble des dechras forme l’arch, l’ensemble des archs forme la kebila. C’est surtout une loi topographique qui préside à ces associations, et l’on peut presque établir que la kebila comprend une chaîne de montagnes, l’arch un contre-fort, et la dechra un point militaire du système[4].

Il n’est point de village si humble dans le Djurdjura qui ne présente une organisation complète de la société kabyle ; on l’y retrouve tout entière avec son gouvernement, sa constitution civile, son caractère et ses passions. La forme du gouvernement est simple ; c’est la forme démocratique pure. Tous les pouvoirs politiques, administratifs, judiciaires, sont concentrés dans la djemâ ou assemblée du peuple, qui se réunit régulièrement chaque semaine, — extraordinairement, quand il est besoin. La djemâ délègue le pouvoir exécutif à un magistrat, l’amine, nommé par le

  1. Les plus gros villages kabyles n’ont pas plus de 3,000 âmes.
  2. Le mot arch est également arabe. — Les tribus kabyles les plus nombreuses comptent de 6,000 à 7,000 habitans.
  3. Les deux kebilas les plus puissantes du Djurdjura sont les Zouaouas, qui comprennent huit tribus, avec une population totale de 34,000 âmes, et les Aït-Iraten, formant cinq tribus, avec irae population de 18,000 habitans.
  4. Chaque village kabyle porte un nom particulier qui exprime le plus souvent un fait matériel ; exemple : Agouni ou Djilbân (le champ de pois), Taguemount ou Kerrouch (la colline du chêne), Taddert ou Fella (le village d’en haut). Chaque tribu porte un nom générique ; c’est tantôt un nom propre, tantôt un nom qualificatif, mais précédé généralement de la particule aït, qui correspond au beni des Arabes et signifie les gens de… ou les enfans de… Par exemple, la tribu des Aït-Yahia est la tribu des enfans de Yahia. Les Aït-Boudrar sont les gens ou les enfans de la montagne, les Ait-Ouassif sont les gens de la rivière. La kebila comprend également sous un seul et même nom les diverses tribus qui la composent ; ce nom peut être précédé de la particule ait, comme dans les Ait-Iraten, ou ne pas l’être, comme dans les Zouaouas.